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Aux fondements de la linguistique historique africaine

On ne dira jamais assez que l’oeuvre de Cheikh Anta Diop est incommensurablement riche et pluridisciplinaire. Entre autres innovations scientifiques majeures, cette oeuvre «fonde» la linguistique historique africaine ; c’est-à-dire qu’elle applique pour la première fois, de manière aussi systématique, les régles générales de la linguistique historique à un matériau de langues africaines, ouvrant par là-même de nouveaux et vastes horizons épistémiques.

CAD Parente genetiqueVoici un extrait de l’argument du livre de Cheikh Anta Diop intitulé Parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro-africaines[1]. Où l’auteur explique l’immense potentiel heuristique de la comparaison des langues africaines avec l’égyptien ancien, dont son ouvrage constitue la première tentative d’exploitation scientifique d’une telle envergure ; avec des résultats particulièrement importants pour l’histoire des sciences en Afrique Noire, notamment par les Africains eux-mêmes.

Il importe vivement  que de plus en plus de chercheurs africains empruntent les voies si fécondes ouvertes par ce grand savant nègre : « l’auteur africain qui a exercé le plus d’influence sur le XXè siècle »[2]. Encore faudrait-il que les programmes de recherche en Afrique privilégient de telles préoccupations pour ce qui concerne les travaux de linguistique. En tout cas, depuis Diop, un corpus très conséquent a été mis à disposition, notamment grâce aux publications de Théophile Obenga et sa théorie du « Négro-Egyptien »[3].

Par ailleurs, ce texte de Cheikh Anta Diop sonne comme un manifeste avant l’heure de l’afrocentricity[4] formulée, une décennie plus tard, par Asante Kete Molefi


La parenté entre deux langues données est de type génétique lorsque les concordances sont nombreuses et se vérifient pour les systèmes complets […] Pour la première fois dans l’histoire de la linguistique africaine, il a été possible de rendre compte scientifiquement de l’état actuel d’une langue (morphologie, syntaxe, lexique walaf) à partir de l’égyptien ancien, c’est-à-dire par référence à des états plus anciens, bien datés d’une langue de la même famille. C’est le caractère systématique de cette explication quasi totale qui n’épargne presque aucun aspect de la langue expliquée qui est vraiment nouveau.

Pour étendre cette tentative de systématisation de l’explication aux autres langues africaines, il nous a paru intéressant de partir d’un trait dominant de la morphologie de celles-ci : (classes nominales) qui commande même la syntaxe [Ndr : Le démonstratif, l’interrogatif, le relatif, etc. en découlent].

Auparavant, nous avons montré, à partir d’un cas sûr, le passage d’une langue sans classe, l’égyptien ancien, en l’occurrence, à une langue à classe comme le walaf. Par là même nous atténuons, sinon supprimons l’opposition habituelle que l’on fait entre ces deux types de langues et faisons apercevoir la parenté génétique profonde qui sous-tend toute cette réalité linguistique. A la lumière des données égyptiennes, toutes les particularités du walaf jusqu’aux classes nominales entrent dans un schéma cohérent comme les éléments d’un puzzle dont on a trouvé la loi de composition.

Peut-être pour toutes ces raisons cet ouvrage fonde-t-il réellement la linguistique historique africaine, en tout cas il confère à la linguistique africaine la dimension historique qui lui faisait défaut. La possibilité de comparer avec succès les formes de l’égyptien ancien des pyramides (2600 avant J.C.) aux formes actuelles du walaf ruine une bonne partie des idées que l’on s’était faites sur le rythme et les caractéristiques de l’évolution des langues ; celle-ci reflète plus que l’on ne l’avait admis jusqu’à présent la stabilité des structures socio-politiques.

Mais que signifie désormais l’oralité d’une langue africaine, la notion de peuple sans écriture ? Maintenant, nous disposons à coup sûr d’attestations de formes apparentées à celles des langues africaines de la brousse et de la savane, antérieures de plus de mille ans aux attestations les plus anciennes des langues indo-européennes. En effet, le hittite n’est attesté qu’au XIVè siècle avant J.C. tandis que l’égyptien ancien est écrit depuis 3300 av. J.C., de la sorte ce sont les langues africaines qui se trouvent du jour au lendemain dotées des attestations les plus anciennes de l’histoire linguistique.

Que reste-t-il du dogme de la vénérabilité des langues européennes ou écrites ? Les rôles seraient ainsi renversés. Il a été même possible de suggérer certains faits d’évolution avec une précision inattendue. En effet, la présence en walaf du pluriel en i de l’égyptien de l’ancien empire et l’absence de toutes traces de pluriel en ou caractéristique de la langue classique de la XVIIIè dynastie et aussi de certaines langues africaines comme le bambara, inclinent à penser que le walaf s’est détaché du tronc commun africain à l’époque des pyramides ; d’autres faits morphologiques exposés ci-dessous ainsi que les données lexicales viennent appuyer ces vues ; les termes égyptiens du vocabulaire comparé dans cet ouvrage portent leur âge sous forme de référence à la plus ancienne attestation de terme égyptien comparé au terme walaf. Les traces indiscutables, d’un genre désinentiel, démontrent la faillite des théories antérieures relatives aux critères absolus de classification.

Le processus de l’évolution des langues africaines apparaît clairement ; loin de nous l’idée que le walaf descende par filiation directe de l’égyptien ancien, mais le walaf, l’égyptien ancien et les autres langues africaines dérivent d’une langue mère commune que l’on peut appeler le Négro-africain de L. Homburger ou de Th. Obenga. De la sorte, l’état antérieur de l’une de ces langues peut éclairer même les formes actuelles d’une langue de la famille. De même la comparaison des lexiques de plusieurs de ces langues permet d’éliminer les fausses étymologies.

Dans la mesure où la civilisation égypto-nubienne marque l’étape la plus ancienne de notre culture, force nous est de renouer avec celle-ci dans tous les domaines si l’on veut bâtir un corps de sciences humaines. L’Egypte est au reste de l’Afrique noire ce que la Grèce et Rome sont à l’Occident. Les nouvelles humanités africaines devront s’édifier sur les soubassements de l’antique culture pharaonique. L’égyptien ancien et le méroïtique devront remplacer le latin et le grec dans les programmes. Le droit égyptien prendre la place du droit romain. La philosophie égyptienne (les deux systèmes de cosmogonies Heliopolitaine et Hermopolitaine) devra être enseignée conjointement à la philosophie grecque surtout (Démocrite, Epicure, Platon, Aristote, etc.) pour mieux mettre en évidence l’apport de l’Afrique Noire à la pensée occidentale. Est-il besoin de rappeler que sous Thoutmes III, sous la XVIIIè dynastie vers 1470 av. J.C., 800 ans avant Homère, fleurissait déjà en Egypte, c’est-à-dire en pays noir, une poésie classique écrite en vers ? De même l’enseignement africain doit intégrer systématiquement l’étude des arts en Egypte : l’architecture civile et militaire, la musique, la sculpture, la peinture, etc.


Par CHEIKH ANTA DIOP

Juillet 1976



[1] Cheikh Anta Diop, Parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro-africaines, 2ème édition, IFAN-DAKAR, 2008, pp.XVII – XXV

[2] Dans son Dictionnaire de l’Afrique – Histoire Civilisation Actualité, éd. Larousse, 2006, p.96, Bernard Nantet indique que Cheikh Anta Diop avait été ainsi distingué au premier Festival mondial des arts nègres, qui s’est déroulé à Dakar en 1966.

[3]Théophile Obenga, Origine commune de l’égyptien ancien, du copte et des langues négro-africaines modernes – Introduction à la linguistique historique africaine, Paris, L’Harmattan, 1993.

[4] Asante Kete Molefi, The Afrocentric Idea, éd. Temple University Press, 1987

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