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La fidélité d’Aimé Césaire à l’Afrique, enjeux et perspectives

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Le 26 juin 2013, Aimé Césaire aurait eu cent (100) ans, puisqu’il est né à Basse-Pointe (Madinina) le 26 juin 1913. « Nègre je suis, et Nègre je resterai » : assurément, la fidélité indéfectible de Césaire à l’Afrique donne beaucoup à réfléchir. Entre autres, elle pose la question de savoir si l’Afrique a été, à son tour, fidèle à Césaire. En d’autres termes, pourquoi l’Afrique serait-elle, devrait-elle être, fidèle à Césaire ? En quoi consisterait une fidélité de l’Afrique à Césaire ?

Plus que d’y répondre, mon propos vise surtout à formuler précisément ces questions ; à les poser fermement, comme étant des questions inexpugnables pour nous autres Continentaux, a fortiori panafricanistes. Cependant, j’esquisserai quelques éléments de réponse, notamment en ce qui concerne la nécessité stratégique majeure d’une reconnexion de l’Afrique à soi-même, à travers un renforcement des relations protéiformes entre le Continent-Mère et la Diaspora africaine, dont Aimé Césaire est l’une des plus emblématiques figures.

I/ Fidélité de Césaire à l’Afrique

D’un point de vue épistémologique, la fidélité à l’Afrique du Martiniquais Aimé Césaire ne va pas de soi. En tout cas, d’autres intellectuels originaires des Antilles comme lui conçoivent différemment les choses. Ainsi, pour les tenants d’un certain courant créoliste, l’Africain kidnappé en Afrique (et qu’ils prétendent avoir été vendu aux négriers étrangers par ses propres congénères véreux…) est mort en tant qu’Africain au fond de la cale du bateau négrier, lors de la funeste traversée de l’Atlantique. De sorte que le captif qui aborde l’Autre-Rive n’est plus un Africain ; c’est un Créole, ou à tout le moins un proto-antillais, qui construira progressivement son antillanité dans les nouvelles circonstances sociologiques et écologiques où l’histoire l’a précipité[1].

I-a)  Envers ou contre la « créolitude »

Une telle posture créoliste vise à approfondir l’identité créole, ici et maintenant, mais en veillant soigneusement à abstraire le tréfonds africain de cette identité ; voire en se plaçant ostensiblement à distance de ce qu’il peut y avoir d’africain dans cette identité créole. Pis, la distance épistémologique, voire géographique, ainsi voulue avec l’Afrique n’est pas véritablement assumée à l’égard de l’Europe ; bien au contraire.

De plus, l’identité créole si passionnément investie au plan littéraire semble s’épuiser en un provincialisme insulaire, c’est-à-dire au fond en une vacuité géostratégique, qui peine tant à s’émanciper de ses coordonnées politiques néocoloniales franco-françaises, pour envisager une fédération (ou simplement une union économique et douanière) des pays de la Caraïbe ayant en partage la langue créole. S’émanciper poétiquement de l’Afrique, tout en s’enchaînant politiquement à la France, en tant que « confettis de la République » ; ou désormais « région ultrapériphérique » de l’Union européenne, pourtant géographiquement plus éloignée de l’Europe que du Continent-Mère[2].

Cela dit, même s’il a pu sembler assez isolé sur son île natale dans sa fidélité à l’Afrique, Aimé Césaire n’est pas si seul en pays d’expression créole à clamer des liens indéfectibles avec le Pays-des-Ancêtres : Joseph Anténor Firmin, Marcus Mosiah Garvey, Jean Price-Mars[3], Mervyn Alleyne[4], Ama Mazama[5], Ivan Van Sertima[6] et beaucoup d’autres intellectuels caribéens ont souligné avec force la relation radicale du monde créole avec l’Afrique. Voyons succinctement de quoi procède cette relation.

I-b) L’Afrique de l’Autre-Rive

L’histoire contemporaine de l’Afrique est celle d’un continent vidé d’une part considérable de sa substance (anthropologique, minérale, minière, etc.) depuis au moins cinq cents ans, en raison d’une rédhibitoire infériorité militaire face à des agresseurs étrangers particulièrement féroces. Des millions d’Africains se sont ainsi retrouvés aux quatre coins du monde, éparpillés tous azimuts par des forces centripètes encore à l’œuvre jusqu’à nos jours.

Cette dispersion de l’être-africain aux confins du monde a été très profondément éprouvée par ses victimes, dont d’innombrables tentèrent par tous les moyens de conserver au fond d’elles-mêmes ce qui pouvait encore l’être ; lors même que tout en elles était saccagé, épuisé, par l’extrême violence du système esclavagiste-impérialiste qui les happait.

Au nombre des moyens employés pour résister à la déshumanisation, et qui renvoient indéniablement à l’Afrique, citons quelques institutions et pratiques culturelles attestées dans la Caraïbe : la langue dite « kreyol », avec son lexique[7] et sa structure si profondément africains[8], le vodun, le gwo ka, le maré tèt, ou encore les techniques médicinales traditionnelles (kimboizè, gadé zafè), voire la gastronomie antillaise ; ce sont autant de lieux d’où la Caraïbe scande et vit quotidiennement son africanité.

Par ailleurs, selon les travaux d’Ivan Van Sertima et de Pathé Diagne[9], entre autres, le continent américain était peuplé d’Africains ; plusieurs siècles avant que Christophe Colomb ne le « découvre ». Or, si des cités antiques florissantes fondées par des communautés négro-africaines existaient en Amérique à l’époque où Christophe Colomb et les Conquistadors la « découvrent », alors le crime contre l’humanité nègre perpétré à l’occasion des déportations transatlantiques n’a pas ravagé seulement des sociétés africaines du Continent-Mère, il a également exterminé d’autres millions de Nègres autochtones d’Amérique. Cette réalité de « négrocide américain » est l’un des non-dits les plus effarants de l’américanisme, qui est au fond un autre africanisme, d’Outre-mer.

Au fait, l’attachement de Césaire à l’Afrique n’est pas seulement une pétition de principe, une inclination littéraire, ni même l’effet du hasard d’une rencontre avec Léopold Sedar Senghor au lycée Louis-le-Grand[10] ; cela procède également d’une relation anthropologique, socio-historique, de fils de captifs africains qu’il fut. Une relation profonde, enfouie, provisoirement voilée par un contexte colonial d’aliénation, et qui a certainement été ravivée grâce à la fameuse rencontre, au prestigieux lycée parisien, de l’étudiant sénégalais devenu un ami de longue date ; compagnon – avec Léon-Gontran Damas – de la révolte épistémologique dénommée « Négritude ».

II/ Enjeux de la relation Afrique-Diaspora

« Les Africains doivent pour le moins se reconnaître comme appartenant au même continent, avec un idéal commun, et lutter ensemble contre un ennemi commun, en ne cherchant pas cet ennemi à l’intérieur du pays mais en dehors.[11] »

Au-delà du cas particulier d’Aimé Césaire, comment comprendre la relation séculaire intime qui lie l’Afrique d’Autre-Rive au Continent-Mère ? Si la violente dispersion de l’Afrique au monde l’a laissée exsangue, profondément affaiblie, alors un rassemblement de ses multiples parties pourrait conférer aux Africains (du Continent aussi bien que de la Diaspora) une formidable énergie vitale ; laquelle favoriserait grandement la Renaissance civilisationnelle du Peuple Noir.

II-a) Umoja Ni Nguvu[12]

Aussi, la conscience aiguë de cet enjeu, celui de l’unité des nations nègres comme levain de la Renaissance du Peuple Noir, caractérise-t-elle radicalement le panafricanisme : Umoja Ni Nguvu ! Or, ce panafricanisme a éclos d’abord en Afrique de l’Autre-Rive, grâce à d’illustres figures de la Diaspora africaine, telles que Henry Sylvester Williams, William Edward Burghardt Du Bois, ou encore Benito Sylvain[13].

Considérons davantage l’importance de l’enjeu géostratégique en quoi consiste l’unité entre les nations nègres : aujourd’hui, la population panafricaine, c’est-à-dire la population de l’Afrique prise ensemble avec celle de la Diaspora africaine, représente la plus grande masse démographique du monde : quelques 1.5 milliards de personnes. Cette population panafricaine est la plus jeune, et donc la plus dynamique, de la planète ; elle sera d’environ 2.5 milliards de personnes à l’horizon 2050. La reprise en main de son propre destin collectif passe par une stratégie panafricaniste de renaissance civilisationnelle.

II-b) Back-To-Africa

Pendant au moins les deux derniers siècles écoulés (XIXè et XXè siècles), le commerce dit « mondial » a consisté essentiellement aux échanges économiques entre les pays d’Europe et ceux fondés ou dominés à travers le monde par la diaspora européenne ; les autres pays du monde ne formant qu’une périphérie ou une arrière-cour de ce commerce entre l’Europe et sa Diaspora.

Ainsi, dans le cadre du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade, 1948-1994), jusqu’à 80% des échanges économiques internationaux étaient constitués de transactions entre les pays d’Europe (Allemagne, Grande-Bretagne, France, Italie, Portugal, Espagne, etc.) et leurs diasporas (Etats-Unis, Canada, Australie, Nouvelle Zelande, Afrique du Sud, etc.) ; avec comme principaux protagonistes les entreprises multinationales domiciliées dans ces pays. Par exemple, le tourisme du « Vieux Continent » (Tour Eiffel, vestiges de Grèce et Rome, etc.) – leader mondial du secteur – est particulièrement soutenu par les flux de millions de visiteurs d’origine européenne en provenance du Reste du Monde, notamment des Etats-Unis, Canada, Australie, Nouvelle Zélande, Argentine, Afrique du Sud, etc.

Comme on le voit, avec seulement un demi milliard d’habitants en Europe et presqu’autant hors d’Europe, les Européens et la diaspora européenne ont initié entre eux des échanges économiques (GATT), politiques (OCDE), militaires (OTAN), culturels et sportifs, qui surdéterminent les relations internationales depuis deux siècles, et leur assurent une prépondérance planétaire multidimensionnelle constitutive de « la suprématie blanche ». A noter que ce processus n’a pas été sans violences et génocides perpétrés par les Européens sur les autres nations du monde, en raison de la volonté criminelle des premiers d’accaparer les ressources naturelles et les terres des seconds.

Or, avec 1.5 milliards de personnes, l’Afrique et la Diaspora africaine représentent ensemble la première puissance démographique mondiale ; de surcroît le Peuple Noir étant le plus jeune, dynamique et créatif de la planète. Si l’on ajoute à cela le fait que le Continent-Mère est certainement le plus riche de tous en ressources naturelles (hydrauliques, minières, minérales, foncières, etc.), l’on comprend à quel point l’intensification des relations multilatérales (culturelles, sportives, économiques, douanières, financières, diplomatiques, etc.) entre les pays d’Afrique et les pays ou régions de la Diaspora africaine (Brésil, Vénézuela, Ayiti, Jamaïque, Cuba, Madinina, Karukéra, Kanaky, Guyane, etc.) accroîtrait considérablement les opportunités d’enrichissement mutuel des nations panafricaines à travers le monde.

Le contexte géopolitique actuel, de déclin de la « Suprématie blanche » euro-étatsunienne et de l’émergence de pôles alternatifs (ex. les BRICS, MERCOSUR), est plutôt favorable à cette réorganisation géostratégique des relations de l’Afrique avec la Diaspora africaine comme préoccupation stratégique majeure, en vue d’une Renaissance civilisationnelle du Peuple Noir aux prises avec le Yovodah[14]. Cette préoccupation est portée idéologiquement et programmatiquement par le mouvement intellectuel séculaire du Panafricanisme.

Conclusion

« Au début de ce XXIè siècle de l’ère judéo-chrétienne, le panafricanisme se présente comme une nécessité vitale pour les Africains, autant de l’intérieur que de la diaspora. C’est dire que la survie des générations d’Africains, présentes et futures, dépend de l’amorce immédiate d’un processus d’unification politique […] Il est clair qu’alors que les Africains de la diaspora sont éternellement en butte à une discrimination et à une insécurité tout aussi permanentes qu’implacables, les Africains de l’intérieur ne subissent pas moins la loi de la jungle politique et économique internationale ; une jungle dominée par des aigles rapaces, des ours sauvages, des coqs ergotés, des dragons irrésistibles et étonnement alertes, etc.[15] »

Michel KOUNOU

En 2012, Ayiti a été admis comme membre plénipotentiaire de l’Union africaine : une grande première pour un pays de la Diaspora africaine, dont tant de fils apportèrent leurs remarquables contributions à l’Afrique lors des luttes anticoloniales. Deux années auparavant, le terrible tremblement de terre qui endeuilla le pays de Jean-Jacques Dessalines en 2010 ne laissait pas indifférents les pouvoirs françafricains du « Pré Carré » ; puisqu’aussi bien le Sénégal, la RDC, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, que le Gabon esquissèrent promptement des gestes de solidarité effective à l’égard du vaillant peuple ayitien. Abdoulaye Wade allant jusqu’à proposer des terres d’accueil aux Ayitiens délogés par le séisme ; en plus d’avoir accueilli une centaine d’étudiants ayitiens dans les universités sénégalaises.

Toutefois, les nations panafricaines ne devraient pas attendre que d’autres catastrophes les frappent pour s’organiser institutionnellement, en vue de renforcer leurs relations multilatérales dans divers domaines et accroître ainsi les opportunités d’échanges et d’unité du Peuple Noir. De ce point de vue, la mise en place de liaisons maritimes, aériennes et de télécommunications entre les Deux-Rives de la Grande Eau est une exigence géostratégique impérieuse, qu’il est indispensable de satisfaire avant la fin de la décennie 2020.

L’instauration d’un Passeport Panafricain devrait favoriser l’intensification des échanges humains au sein du vaste espace géographique constitué par l’Afrique et les pays ou régions du monde habités par la Diaspora africaine.

Quant à l’adoption rapide du kréyol (avant 2020) comme l’une des langues officielles de l’Union africaine, et comme une langue d’enseignement obligatoire de ses pays membres, elle est une conséquence logique de l’entrée d’Ayiti à l’UA et de l’ouverture culturelle nécessaire du panafricanisme continental aux sociétés antillaises qui ont vu naître Makandal, Toussaint, Solitude, Ignace, Delgrès ou encore Césaire.

Umoja Ni Nguvu !

KLAH Popo

Juillet 2013


[1] Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Eloge de la créolité, éd. NRF Gallimard, 1993, p.13 : « Ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons Créoles. Cela sera pour nous une attitude intérieure, mieux : une vigilance, ou mieux encore, une sorte d’enveloppe mentale au mitan de laquelle se bâtira notre monde en pleine conscience du monde. »

[2] Ainsi, à vol d’oiseau, Dakar est bien plus proche de Fort-de-France que du Cap de Bonne Espérance.

[3] Jean Price-Mars, Ainsi parla l’Oncle, 1928

[4] Mervyn Alleyne, Africa: Roots of Jamaican Culture, Frontline Distribution International, 1996.

[5] Ama Mazama, Critique afrocentrique de l’Eloge de la créolité, in Penser la créolité, S/d Maryse Condé et Madeleine Cottenet-Hage, éd. Karthala, 1995.

[6] Ivan Van Sertima, They came before Columbus – The African presence in Ancient America

[7] Médju M’KBa, Létyopi atè Matnik – Nannan Lafrik andan palé kréyòl moun Matnik, éd. Lafontaine, 1999.

[8] Ama Mazama, Langue et identité en Guadeloupe : une perspective afrocentrique, éd. Jasor, 1997.

[9] Pathé Diagne, Tarana ou l’Amérique précolombienne, un continent africain, éd. L’Harmattan, 2009.

[10] Aimé Césaire, Nègre je suis et Nègre je resterai – Entretiens avec Françoise Vergès, éd. Albin Michel, 2005, p.23 : « Bizuth, comment t’appelles-tu, d’où viens-tu et qu’est-ce que tu fais ? » « Je m’appelle Aimé Césaire. Je suis de Martinique et je viens de m’inscrire en hypokhâgne. Et toi ? ». « Je m’appelle Léopold Sedar Senghor. Je suis sénégalais et je suis en khâgne. » « Bizuth – il me donne l’accolade – tu seras mon bizuth. » Le jour même de mon arrivée au lycée Louis-le-Grand ! Nous sommes restés très amis, lui en khâgne, et moi en hypokhâgne. On se voyait tous les jours, on discutait. […] Senghor et moi, nous discutions éperdument de l’Afrique, des Antilles, du colonialisme, des civilisations. »

[11] Aimé Césaire, Nègre je suis, et Nègre je resterai – Entretiens avec Françoise Vergès, éd. Albin Michel, 2005.

[12] Umoja Ni Nguvu signifie « Unity is Strengh », ou encore « l’union fait la force » des agressés face aux agresseurs.

[13] Oruno Lara, La naissance du Panafricanisme – Les racines caraïbes, américaines et africaines du mouvement au XIXè siècle, éd. Maisonneuve & Larose, 2000.

[14] Klah Popo, Yovodah et Panafricanisme – Résister pour survivre, s’unir pour renaître, éd. Anibwe, 2012.

[15] Michel KOUNOU, Le Panafricanisme : de la crise à la renaissance – Une stratégie globale de reconstruction effective pour le troisième millénaire, éd. CLE Yaoundé, 2007, p.493.

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