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Journal de bord d’un négrier

Le « Journal de bord d’un négrier » est un texte publié par Bernard PLASSE. C’est le journal de bord de son aïeul, Jean-Pierre PLASSE[1], qui fut « subrécargue » sur un bateau négrier au nom de l’Espérance ; c’est-à-dire qu’il était  le représentant légal de l’armateur à bord, ayant mission de « traiter » pour le compte dudit armateur. Il s’agit donc de la traduction, en français contemporain, d’un document original, d’une source directe sur le Yovodah datée de 1762, l’année où a eu lieu cette expédition vers l’Afrique en vue d’en ramener du bois d’ébène. Jean-Pierre PLASSE décrit et explique ce qu’il s’est passé lors de cette expédition, avec une foule d’événements dont il est directement témoin oculaire, sinon protagoniste.

Olivier PETRE-GRENOUILLEAU a été sollicité pour la préface, c’est-à-dire aussi pour estampiller de son autorité l’exceptionnel intérêt de ce document-témoignage précieux sur la « Traite des Noirs ». Bien entendu, ce gourou de la version mercantiliste du Yovodah n’y a vu que matière à confirmer ses propres thèses (pp10-11) :

Les chefs locaux et les courtiers sont généralement très mal considérés. A lire Plasse il ne s’agit que de fripons, souvent ivrognes, parfois cruels. Récurrente, cette image est déjà à l’époque un poncif. Traduisant l’irritation des capitaines de négriers obligés de se soumettre aux autorités locales afin de négocier des esclaves, ce stéréotype nous rappelle que les vrais maîtres de l’échange, sur les côtes d’Afrique, sont les Africains eux-mêmes. […] la nécessité de passer par l’intermédiaire des élites africaines explique cette traite itinérante […] Tous les types de traite défilent ainsi, au fil des pages : traite itinérante, troque sur rade foraine ou à terre, achats directs, par le biais de courtiers noirs, de gouverneurs blancs ou de structures étatiques africaines solidement implantées.

Cet article vise à montrer qu’une lecture attentive de ce « Journal de bord d’un négrier » permet de conclure rigoureusement au contraire de ce prétend Olivier Pétré-Grenouilleau. En effet, les vrais maîtres d’œuvre des déportations négrières transatlantique sont les Européens : en fait d’« élites africaines » comme prétend Petré-Grenouilleau, les négriers blancs ont généralement eu partie liée avec des « fripons, souvent ivrognes » en tant que complices africains de leur crime contre l’humanité nègre.

Plasse indique des noms de personnes, fleuves, villages, etc. constitutifs du microcosme africain du Yovodah à l’époque de ses voyages sur la Côte de Guinée.

  • P37 : « royaume des Carous » , « vice-roi » au nom de « William ou Guillaume »
  • P40 : « Tous les villages de la côte ont un vice-roi qui gouverne ses sujets sous les ordres de rois qui se tiennent dans l’intérieur de leurs royaumes. Le vice-roi ici s’appelle Louis. […] Il faut avoir toujours un nègre courtier par rapport à la langue du pays, lequel entend les langues d’Europe comme le Français, l’Anglais et le Hollandais et auquel on donne une bagatelle pour sa peine. »
  • P41 « village de Mésurade », « celui [village] de Saint-Paul », « vice-roi [de Saint-Paul] appelé Pierre », « Il y a des courtiers nègres qui ont résidé en Europe. L’un des leurs, un nommé Cupidon fut en France avec Monsieur de Leremberg, capitaine de vaisseau de la Compagnie qui l’a gardé le temps convenu avec son père et le renvoya chez lui. »


« La Côte des mal gens »

Depuis le Cap Vert jusqu’à l’ouest de la Côte d’Ivoire (pour prendre des repères actuels), les noms de lieux et de personnes que donne Plasse ont essentiellement une consonance européenne. Si bien qu’à si méprendre, on se croirait en Europe : « Saint-André », « Mésurade », « Pierre », « Cupidon », « Saint-Paul », etc. Ainsi au milieu du dix-huitième siècle, ces milliers de kilomètres de côtes africaines de l’Atlantique ont été déjà largement occidentalisées ; c’est-à-dire que leur configuration politico-socio-économique est déjà fondamentalement surdéterminée par le rapport séculaire à l’Europe.

Pis, les fameux rois nègres pourvoyeurs d’esclaves n’y sont que des « courtiers » et « vice rois », dont les services sont payés essentiellement de « bagatelle » et autres « ancres d’eau de vie ». Ils ont généralement des noms très exotiques pour d’authentiques Africains de l’époque, puisqu’ils s’appellent « Cupidon », « William ou Guillaume », « Capitaine Christ », etc. En fait de « royaume », ils règnent sur un « village », selon l’auteur. En réalité, il s’agit davantage de campements et autres petits hameaux où se sont regroupés quelques Nègres de pauvre condition ; désireux, effectivement, de vendre leurs services aux négriers, prestations bien souvent chichement rétribuées.


« Vice-roi », « Courtier », « Rimadour »

Ces petites gens ont été attirés ou retenus là par les activités des négriers, qu’ils n’ont ni créées, ni sollicitées ; et au contraire dont ils sont la créature. J’entends ici « créature » au sens figuré où ces gens sont là à cause des négriers ; mais également au sens strict : certains de ces Africains sont en réalité des métis, notamment portugais. Cela pourrait expliquer « leur longues barbes de chèvres et leur moustache […] dont les unes sont en tresses, les autres en queue […] ». En tout cas, dès le quinzième siècle les Portugais fondaient des colonies de peuplement dans des îles  de Madère, Cap Vert, Sao Tome, etc. dont ils exploitaient les terres avec les premiers captifs africains.

Et l’on sait qu’il y a eu partout des interactions consanguines entre maîtres blancs et esclaves nègres ; notamment lors de viols des derniers par les autres. En outre, des captifs africains vivant au Portugal étaient renvoyés en Afrique, en vue d’échanger leur liberté contre quatre nouveaux esclaves. On comprend qu’une fois devenus libres, au fil de siècles, certains descendants de ces Nègres occidentalisés n’aient eu d’autre choix que d’établir des communautés à part en Afrique même ; lorsqu’ils n’ont pu regagner l’Europe. Ils ne pouvaient s’installer à l’intérieur des terres, où s’étaient progressivement retirées les populations côtières pour se préserver des razzias. Il restait leur donc à se tourner vers la mer, vers les négriers européens auxquels ils servaient de petite main d’œuvre, comme de rabatteurs de bois d’ébène.

Quant aux volumes de bois d’ébène que « traitent » ces courtiers et vice-rois, ils ne consistent bien souvent qu’en quelques unités, rarement plus d’une dizaine. Ce ne sont donc  aucunement ces grands marchands africains d’esclaves, richissimes, dont une fantasmagorie éculée pourrait faire croire qu’ils étaient capables d’affréter des (milliers de) bateaux négriers embarquant chacun, à fond de cale, environ quatre cents bois d’ébène ; voire le double. D’ailleurs, cette partie de la côte africaine est dite « Côte des Males Gens », car non seulement on y « traite » très peu d’esclaves, avec des gens souvent peu recommandables (des « brigands », « cruels ») ; mais également le négrier est parfois confronté à des populations récalcitrantes, nuisant à la bonne marche des « affaires » par des attaques sporadiques de navires et équipages[2].


« La Côte des bonnes gens »

Au début du Yovodah les Portugais razziaient. Ils tentèrent de s’enfoncer dans les terres avec les lançados pour razzier au-delà des côtes. Mais cette façon de procéder atteignit ses limites, notamment en raison des risques sanitaires, voire militaires, trop importants que cela impliquait. D’autre part, à partir du XVIIème siècle, la demande de bois d’ébène pour les plantations d’Amérique croît exponentiellement. Il devient ainsi structuralement impossible d’y répondre par les moyens habituels de razzias directes.

Ainsi, pour se perpétuer, le système du Yovodah devait-il nécessairement recruter du personnel nègre, seul capable de perpétrer des razzias au loin, à l’intérieur des terres. P57 : “Dans ces villages les habitants sont fort pauvres. Ils vendent quelques captifs, qu’ils attrapent à la faveur de la nuit dans les villages intérieurs, quoiqu’il n’y ait point de guerre.” Les premiers contingents de ce personnel sont constitués de Nègres déjà serviles affranchis à cet effet et ramenés sur les côtes africaines. Ce sont vraisemblablement ces fameux “courtiers” et “vice-roi” aux noms si exotiques dont parle Plasse : « Marie Grand, courtier des Français, qui est un Nègre […] » (P57). Ainsi le Yovodah se donne une apparence de “commerce” lorsqu’il demeure fondamentalement de la razzia ; quoique par procuration : les Blancs ne razzient plus directement, mais ils commanditent des razzias, suscitent des guerres, fournissent tant et tant d’armes à feu pour ce faire.


Le fort et son gouverneur sont les pivots du trafic négrier

Cette nouvelle configuration du Yovodah prend toute son ampleur sur « La côte des bonnes gens », qui commence depuis le « cap Lahou » (au sud-est de l’actuelle Côte d’Ivoire), peut être subdivisée en « côte de l’ivoire », « côte de l’or » et « côte des esclaves ». Plasse y dénombre pas moins de quatorze forts qui sont les institutions maîtresses d’œuvre de ce système. On en compte parfois jusqu’à trois au même endroit, comme à « Acara » et à « Bomé ». Il y a même deux châteaux, tel le « Château de la Mine ».

Ces forts emploient principalement du personnel nègre. Chaque officier possède sa Négresse objet sexuel (P103), et les enfants de ces viols sont généralement employés dans l’économie du Yovodah. Certains à de hautes fonctions, telle que celle de « Cavissery », c’est-à-dire homme d’affaires du gouverneur du fort. Ledit gouverneur blanc est le véritable parrain de ce trafic de Nègres  (130)

Pour les gouverneurs, quels qu’ils soient, la guerre en Europe ne les concerne pas. Ils se fréquentent et donnent des repas très souvent surtout le dimanche. […] Le commerce des gouverneurs est considérable, surtout quand il n’y a pas de navire en rade et qu’ils ont de quoi traiter. C’est alors qu’ils obtiennent les captifs à grand marché et qu’ils vendent plus tard aux navires une once de plus que le cours, c’est-à-dire une ancre d’eau-de-vie. […] D’ailleurs ils achètent pour l’ordinaire tous les rebuts de camp et ils tachent de vous les donner pour bien bons, se prévalant de quelques petits services qu’ils rendent aux capitaines, lesquels ne peuvent presque rien leur refuser. […] On leur paye en partant un droit pour les captifs qu’on entrepose dans les cachots du fort.

Certes le gouverneur est, semble-t-il, chichement appointé par la Compagnie, mais il mène grand train, règne militairement en maître sur toutes les contrées alentours, dont les populations sont sous sa protection/domination comme un seigneur blanc dans son fief africain. Ainsi le fort St Gago (P102) « situé pour tirer sur le village en cas de révolte de la part des nègres ». P103 : « Le général mène le train d’un prince. Ses domestiques sont décorés par de grandes chaînes d’or en bandoulière, au bout desquelles est attachée une large plaque du même métal. Il a un orchestre de musique instrumentale, tous gens d’Europe qui jouent pendant le dîner auquel n’assistent que les principaux officiers et tous les capitaines des navires en rade. »

Ainsi aux dires mêmes de Plasse, et contrairement aux ratiocinations de Pétré-Grenouilleau, les dispositifs européens installés sur les côtes africaines dès le XVè siècle (forts, colonies insulaires, châteaux, comptoirs, etc.) constituent les principaux rouages en Afrique des déportations négrières. C’est à la périphérie de ces infrastructures négrières qu’un microcosme « indigène » de personnel négrier va progressivement émerger pour assumer, au fil des siècles, les fonctions que le système négrier fomenté par les Européens lui assignera. Mais, comme le souligne Odile Tobner, tous les crimes contre l’humanité ont été perpétrés avec la complicité d’une (infime) minorité de personnes recrutées parmi la population des victimes. En sorte que les complices africains du Yovodah ne peuvent pas être invoqués à la décharge des commanditaires européens de ce crime contre l’humanité nègre.

En définitive, l’historiographie des déportations négrières devrait faire une plus grande place à l’analyse du corpus de récits de captifs africains et de protagonistes européens. Ces documents devraient être largement traduits et publiés en différentes langues, afin que les lecteurs se forgent leur propre opinion des événements qui y sont évoqués. Toutefois, il conviendrait alors de bien distinguer les périodes concernées par chaque texte, afin de le remettre dans son propre contexte, plutôt que d’en tirer une théorie générale qui serait vraie partout, en tout temps. Or, trop souvent l’historiographie française de la « traite négrière » repose quasi exclusivement sur les archives contemporaines de l’entrée officielle des rois de France dans le trafic négrier ; soit deux cents ans après le début de ce crime que cette historiographie nomme dogmatiquement « traite ». Au demeurant, des archives considérablement détruites au moment de l’abolition, mais aussi par des propriétaires et armateurs qui avaient intérêt à effacer les traces comptables ou fiscales de leurs activités criminelles. De fait, tout se passe comme si les faits documentés entre 1640 et 1848 suffisaient pour comprendre ceux survenus antérieurement ; entre 1441 et 1640. Pourtant, cette dernière période ne manque pas d’archives elle aussi, notamment en Angola, Sao Tome, Brésil et bien évidement l’Espagne et le Portugal.

Par Ogotemmêli


[1] Jean-Pierre PLASSE , Journal de bord d’un négrier, éd. Le Mot et le Reste, 2005

[2] Analysant les archives de la Llyod’s relative aux activités d’assurance des bateaux négriers, Joseph Inikori a calculé qu’environ 15% des naufrages étaient provoqués par des révoltes et attaques des Africains, en particulier aussi longtemps que les navires naviguaient en vue des côtes. Cela maintenait l’espoir des captifs de regagner la terre ferme par la nage, et rendait les pêcheurs africains susceptibles d’attaques nocturnes des négriers avec leurs pirogues, ou autres embarcations de fortune.

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