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Odyssée négrière à Kalabary

deux-princes-de-calabarL’ouvrage intitulé Les Deux princes de Calabar raconte l’histoire vraie de deux coupeurs de bois d’ébène africains dont les fils (Little Ephraim et Ancona) ont été enlevés par des négriers européens et réduits eux-mêmes en esclavage pendant une demie douzaine d’années à la Dominique et en Virginie. Ils purent en réchapper pour rentrer, via Bristol, en Afrique continuer leur business de marchand de captifs nègres. Toute une « odyssée », donc.

Cette histoire débute en 1767, quand une flotte de sept bateaux négriers anglais organise une embuscade dans le Vieux Calabar (Delta du Niger), en vue d’évincer un gang de négriers africains au profit du gang concurrent. Le premier gang avait fondé un village nommé Old Town lorsqu’une autre famille de négriers partie de ce même village fonda la New Town. Au fil des années (ou peut-être des décennies) la concurrence exacerbée entre les deux gangs pour contrôler l’économie négrière de Calabar décida leurs partenaires européens de trancher en faveur de New Town.

On peut comprendre que les plus anciens négriers africains, plus expérimentés dans leurs rapports avec les Européens, fussent progressivement trop « gourmands » en affaires. En effet, dans un premier temps, la concurrence entre les négriers européens, notamment celle des nombreuses expéditions illégales, face à un seul groupe d’interlocuteurs affidés permettait à leurs partenaires africains d’obtenir toujours plus de marchandises en échange des captifs qu’ils procuraient.

Mais, avec la multiplication des expéditions négrières, à partir du milieu du XVIIIè siècle, les premiers groupes de sous-traitants africains de bois d’ébène, organisés en compagnies négrières familiales, commencèrent à s’étoffer. Il leur fallait de plus en plus de main d’oeuvre dans diverses spécialités, afin de rassembler les volumes de bois d’ébène dont la demande outre-atlantique « explosait ». A son tour, une telle structure négrière de plus en plus hypertrophique exigeait toujours plus de marchandises, afin de rémunérer le nombreux personnel nécessaire à sa pérennisation. En un sens, la « gourmandise » des magnats d’Old Town avait des causes structurelles objectives, qui tenaient aux nécessités de leurs conditions intrinsèques de reproduction sociale.

Pour prendre un exemple contemporain, aujourd’hui les exigences d’un Omar Bongo Ondimba (en matière de corruption, prévarication, voire même flatterie) ne sont pas du tout du même ordre que celles des débuts, il y a quarante ans, lorsque le petit agent secret français Albert Bernard Bongo était installé au pouvoir par le réseau Foccart. Ainsi, plus un potentat a de clients à entretenir, plus il lui faut de ressources économiques et symboliques à distribuer ; et donc à trouver. Or, plus est ancien son système de clientélisme, plus ledit système secrète de clients à entretenir ; exigeant autant de moyens économiques et symboliques à ces effets.

En revanche, les nouveaux venus de New Town sur le marché local de la sous-traitance négrière étaient nécessairement obligés d’avoir de bien moindres prétentions que ceux d’Old Town, ne fût-ce que pour grignoter des parts de marché. Par la force des choses, ayant de moindres prétentions, les négriers de New Town étaient plus intéressants pour les Européens. C’est pourquoi ceux-ci procureront les moyens militaires, en vue d’éliminer le gang d’Old Town, lors d’un traquenard particulièrement sanglant où des centaines de protagonistes africains furent massacrés ; et d’autres embarqués pour la déportation aux Amériques.

Là aussi pour prendre un exemple contemporain : lorsque le président du Niger, Hamani Diori (1960-1974) commença à exiger la révision des contrats de ce qui était AREVA de l’époque (à savoir la COGEMA), les Français fomentèrent un coup d’Etat pour le faire assassiner, et ainsi le remplacer par un potentat africain plus « compréhensif », d’autant plus docile qu’il recevait en héritage une belle situation personnelle. La continuité de ce scénario dans le temps et dans l’espace africains est attestée au Congo, Zaïre, Tchad, Centrafrique, Mali, Cameroun, Burkina Faso, Togo, Madagascar, voire en Côte d’Ivoire. Cet funeste épisode, d’une guerre de gangs de négriers fomentée par les européens en Afrique,  est analogue à un autre raconté par Théodore Canot au XIXè siècle. Ce dernier permit à un rival de massacrer la bande adverse de trafiquants du Rio Pongo.


Isaac Parker à la chasse aux Nègres dans le Delta du Niger

Isaac Parker, marin à bord de l’un des sept navires, a laissé un témoignage direct des raids effectués à l’intérieur des terres. Il était parti de Liverpool en 1765 à bord du Latham, négrier commandé par le capitaine George Colley[1] :

[…] Quand le bateau fut chargé et prêt à appareiller pour les Amériques, Parker déserta et demanda sa protection à Dick Ebro. […] Parker vécut ainsi cinq mois chez Dick Ebro, passant son temps à pêcher, à chasser des perroquets et à nettoyer les nombreuses armes, des pistolets et des espingoles, que possédait le marchand.


Un jour, Dick Ebro lui demanda : « Parker, veux-tu venir faire la guerre avec moi ? ». Parker y consentit. Il vit les bateaux se remplir de munitions, de coutelas, de pistolets, de poudre et de balles. Il vit aussi que deux canons de « trois livres » étaient solidement fixés à des supports en bois sur chaque pirogue, l’un à la proue, l’autre à la poupe.  Les membres de l’équipage pagayaient durant le jour, remontant la rivière, mais lorsqu’un village était en vue les pirogues étaient camouflées derrière des buissons sur les rives jusqu’à la tombée de la nuit, les pirogues étant alors tirées sur le rivage. Ils laissaient deux ou trois hommes à [bord] sur chaque pirogue, puis donnaient l’assaut au village et capturaient tous ceux qu’ils y trouvaient.


Puis ils les menottaient et les emmenaient jusqu’aux pirogues. Ils faisaient la même chose plus loin, remontant la rivière jusqu’à ce qu’ils aient capturé 45 esclaves – des hommes, des femmes et des enfants. Ils rentraient ensuite à New Town, répartissaient les esclaves entre différentes maisons et prévenaient les capitaines des nombreux navires pour les informer qu’ils étaient en mesure de leur fournir des esclaves. Les marchands ne faisaient aucun effort pour ne pas séparer les membres des familles ; seuls les nourrissons restaient avec leurs mères. Les capitaines envoyaient quelques hommes dans des canots pour faire la collecte des esclaves et les ramener à bord des navires. Deux semaines plus tard, Parker participa à une nouvelle expédition parfaitement similaire à la première.

[…] Les capitaines s’entendaient parfois pour faire baisser le prix des esclaves. […] Les Africains essayèrent de mettre fin à ces cabales en refusant de vendre au bas prix fixé par les capitaines. Ceux-ci réagirent en mettant en place des patrouilles afin d’empêcher les marchands de remonter la rivière pour capturer des esclaves et en gardant en otages les individus capturés jusqu’à ce que les marchands consentent à leur vendre des esclaves au plus bas prix. Les capitaines n’hésitaient pas non plus à recourir à la violence pour forcer les marchands à leur vendre des esclaves. Il existe des rapports de capitaines anglais faisant état de coups de canons tirés au-dessus ou à l’intérieur de villes du Vieux Calabar, en vue de contraindre les marchands à s’asseoir autour d’une table.

Cet ouvrage comporte plusieurs centres d’intérêt, notamment par sa description des modalités du  yovodah dans le Delta du Niger au XVIIIè siècle. Cependant, l’auteur (Randy Sparks) s’en tient à l’abondance des sources anglaises sur cette seule période pour construire tout son discours sur la « traite négrière » dans cette région d’Afrique. Or, en se fondant sur des sources portugaises, on peut approfondir la perspective, et remonter à la fin du XVè siècle pour commencer à suivre l’évolution de l’économie négrière transatlantique dans le Delta du Niger.

Et alors, on peut voir que des pratiques observées au XVIIIè siècle ont une filiation étroite avec celles attestées dès le XVè siècle. En effet, dans sa « Chronique de Guinée », Eanes De Zurara décrit comment les Portugais s’embusquaient aux abords de villages côtiers africains pour kidnapper leurs habitants la nuit et les réduire en esclaves.

C’est ce travail de coupeur de bois d’ébène qui sera progressivement, au fil de siècles, sous-traité à des petits groupes d’Africains recevant à cet effet les armes (y compris des canons) nécessaires pour aller chasser du Nègre à l’intérieur des terres, là où les Blancs pouvaient difficilement accéder avec leurs bateaux et que les pirogues africaines atteignaient sans peine. De plus, le climat de l’hinterland africain est resté très hostile à la santé des Blancs jusqu’au dix-neuvième siècle, les obligeant à composer avec des alliés locaux pour pouvoir continuer de satisfaire leurs besoins d’esclaves en croissance exponentielle au fil des siècles de la colonisation des Amériques.

Ce sont ces sous-traitants africains, dont certains ont prospéré jusqu’à recevoir de leurs partenaires européens des titres pompeux de « roi », « duc », et qui étaient reçus parfois en grandes pompes dans les cours royales négrières européennes, en vue d’institutionnaliser leurs liens de vasselage. Nombre de ces trafiquants de bois d’ébène régnaient réellement (pour ce qui est de Calabar) sur d’immenses « royaumes » de « 1000 à 5000 » habitants.  Ils  terrorisaient les populations africaines de l’hinterland grâce aux armes  fournies par leurs commanditaires européens ; tout comme les dictateurs africains du « Soleil des indépendances », installés au pouvoir par leurs parrains étrangers, massacrent les nations nègres grâce aux armes et à l’assistance militaire à eux forunies par les puissances néocolonialistes.


Préemption idéologique d’un témoignage accablant

Un autre intérêt de l’ouvrage se rapporte à son préfacier, Olivier Pétré-Grenouilleau, le gourou français de l’historiographie eurocentriste de la traite négrière. En effet, celui-ci croit pouvoir tirer argument d’un texte dont l’examen attentif contredit nombre de ses positions théoriques qu’il prétend « acquises » par la « recherche ».


– Pétré-Grenouilleau a raconté dans ses propres publications que les armes à feu servaient aux Africains essentiellement pour la chasse au gibier ; que ceux-ci en usaient rarement dans leurs guerres. Or, à Calabar, les battues aux Nègres employaient même des canons.


– Pétré-Grenouilleau prétend que les « rois africains » étaient les « maîtres du jeu ». Or, à Calabar, les capitaines de négriers européens se sont entendus pour éliminer militairement l’un des trafiquants africains au profit de celui qu’ils estimaient plus conforme à leur business.

Ainsi, les Blancs recrutaient, choisissaient explicitement leurs affidés, les soutenaient, voire les défendaient contre toute concurrence jugée « déloyale » ; et pouvaient aussi les révoquer au profit de nouveaux complices. En outre, lorsqu’à Calabar les coupeurs de bois d’ébène rechignaient à vendre leurs butins humains au prix « conseillé » par les négriers européens, ceux-ci allaient jusqu’à prendre des mesures drastiques de rétorsion pour contraindre finalement les prétendument « maîtres du jeu »  à leur obéir. Toutes pratiques analogues à celles qui ont cours de nos jours, notamment dans les relations françafricaines maffieuses décrites par François-Xavier Vershave, où des puissances néocolonialistes extorquent des contrats économiques léonins à des vassaux qu’elles ont imposés aux peuples africains comme leaders inamovibles.


En définitive, l’examen attentif des rares témoignages directs publiés sur le déroulement du Yovodah contredit souvent la version hégémonique de « rois nègres vendeurs de nègres ». Aussi bien Isaac Parker que Jean-Pierre Plasse décrivent des « fripons » et des « brigands » comme étant leurs principaux interlocuteurs africains de l’économie des déportations négrières. Malgré cela, l’érudition occidentale, toute imprégnée de négrophobie épistémique, propage imperturbablement  la doxa négationniste d’Africains qui se seraient vendus eux-mêmes, par atavisme,  aux esclavagistes blancs. Contre cette propagande idéologique nauséabonde, il urge que des générations d’étudiants et chercheurs africains s’emparent de leur propre histoire, fréquentent intensivement les sources primaires, voire les abondantes archives inédites, afin de réduire cette situation ahurissante où les historiographes des pays négriers occidentaux monopolisent le discours académique international sur le Yovodah ; à des fins qui ne sont pas exclusivement d’ordre scientifique.


Par Ogotemmêli





[1] Randy J. Sparks, Les deux princes de Calabar – Une odyssée transatlantique à la fin du XVIIIè siècle, éd. Les Perséides, Paris, 2007, pp67-69

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