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« Le drame de l’Afrique »

L’ouvrage collectif rédigé « contre le discours de Dakar » [1] par un groupe d’intellectuels africains, rassemblés pour l’occasion par Makhily Gassama, a très largement dépassé son objectif stricto sensu pour constituer un véritable vade-mecum pédagogique à destination de tous ceux qu’une compréhension plus rigoureuse du « drame de l’Afrique » [2] devraient intéresser – à commencer par le public africain d’abord. Les modalités économiques contemporaines de ce « drame de l’Afrique », obviées par Nicolas Sarkozy, ont été très utilement rappelées dans sa contribution par Demba Moussa Dembélé [3]. Nous en proposons ci-après une manière de note de lecture.

Une dépendance commerciale endémique

En 2001, 54.4% du PIB des pays africains avaient été réalisés avec le reste du monde ; contre seulement 12.8% pour l’Union Européenne et 13.2% pour les Etats-Unis. Cette tendance s’est globalement aggravée depuis une vingtaine d’années, puisque le ratio était de 45% en 1981. En d’autres termes, les Africains échangent beaucoup moins, et de moins en moins, de biens et services marchands entre eux-mêmes, notamment dans les ensembles sous-régionaux d’intégration économique et monétaire (exemple : UEMOA, CEMAC), qu’avec le reste du monde, particulièrement l’Europe. Une telle extranéité commerciale est un héritage direct de l’économie négrière transatlantique, consolidé par l’occupation militaire d’un siècle (environ 1860 à 1960) qui lui a succédée. Les frontières érigées par les colons entre Africains ne sont donc pas uniquement « ethniques », mentales ou politiques, elles sont également économiques ; et résistent encore plutôt bien que mal.

Une division internationale du travail paupérisante

Cette extraversion économique traduit une division internationale du travail promue par le FMI et la Banque Mondiale, où les pays africains sont systémiquement assignés à fournir des matières premières. Ainsi, 2/3 des exportations africaines consistent en produits primaires ou semi-transformés, dont les cours mondiaux ont baissé en moyenne jusqu’à 18% entre 1981 et 2001 : 35% pour le café, 21% pour le poisson, ou 19% pour le coton au cours de la seule année 2001. C’est le fameux phénomène de « la détérioration des termes de l’échange » ; lequel procède essentiellement de ce que, d’une part les exportations africaines sont monopolisées par des compagnies étrangères de négoce (ex. Cargill, Geocoton anciennement Dagris). D’autre part, les prix internationaux de ces exportations sont fixés par des institutions non-africaines (ex. LIFFE : London International Futures and options Exchange, NYMEX : New-York Mercantile Exchange) localisées dans les pays dits développés, qui sont surtout des pays pauvres en matières premières ; dont ils déploient tous les moyens possibles et imaginables pour le contrôle hégémonique du marché mondial.

Un mépris du travail des Africains

Si, par exemple, le prix des Airbus était fixé quasi unilatéralement par ses acheteurs plutôt que par ses producteurs, celui-ci aurait logiquement (« naturellement ») une tendance structurelle à la baisse, en fonction des desiderata desdits acheteurs. Ainsi, l’infrastructure même des marchés mondiaux des matières premières détermine stratégiquement leur trop faible valeur par rapport aux produits finis : ce sont les seuls marchés au monde à souffrir de la « détérioration des termes de l’échange ». En sorte que les pays africains achètent toujours plus cher ce qu’ils ne produisent pas, et vendent de moins en moins cher leurs ressources naturelles pourtant rares et indispensables à d’innombrables industries de la planète. Les fruits du travail des Africains sont ainsi généralement échangés contre de moins en moins de produits fabriqués par les travailleurs des pays tiers : « le pouvoir d’achat des exportations africaines a baissé de 37% en moyenne entre 1980 et 1990, et les prix réels des matières premières autre que le pétrole ont baissé de 45% pendant la même période. » Si l’on considère la dévaluation du franc CFA en 1994, les ratios ci-dessus deviennent, respectivement, 74% et 90% : soit une spoliation pure et simple des matières premières africaines grâce à des mécanismes dolosifs savamment fomentés.

En d’autres termes, les nations nègres ne sont pas respectées dans leurs transactions avec les autres nations du monde. Elles seraient même l’objet de mépris, dans la mesure où les fruits de leur labeur reçoivent structuralement moins de contrepartie dans leurs échanges avec le reste du monde. C’est donc par subterfuges rhétoriques que ce mépris – volontairement institutionnalisé – est naturalisé dans un jargon économiciste des « forces du marché », de « la conjoncture mondiale », de « la main invisible », ou encore de « la détérioration des termes de l’échange » ; lors même qu’il est la conséquence rigoureuse de « politiques délibérées » orchestrées en toute connaissance de cause par ceux qui y ont le plus grand intérêt. Politiques ayant coûté en moyenne 70 milliards de dollars par an à l’Afrique entre 1970 et 1990.

Une stratégie de « sécurité alimentaire » qui affame les Africains

Soutenus par les pays occidentaux, le FMI et la Banque Mondiale imposèrent aux pays africains une politique d’importation de denrées alimentaires, au détriment de la stratégie d’autosuffisance alimentaire qu’avaient adoptée certains dirigeants avisés, tels que Thomas Sankara. En vertu du concept économique de libre-échange dit de « l’avantage des coûts comparatifs », ces institutions avaient résolu qu’il était plus avantageux pour les Africains d’importer l’essentiel de leur nourriture grâce à leurs recettes d’exportation de matières premières et produits semi-finis, plutôt que de pourvoir à leur propres besoins alimentaires : par exemple, entre 1997 et 1999, 80% des importations de marchandises en Afrique subsaharienne consistèrent en produits alimentaires. Or, il n’est pas incompatible de produire en vue d’exporter tout en investissant une partie de ses recettes d’exportation dans une politique (sous-régionale) d’autosuffisance alimentaire, et de transformation locale progressive de ses propres ressources naturelles en produits finis. Pis encore, la chute vertigineuse des recettes d’exportation à fait contracter une dette colossale à l’Afrique, dont le service annuel est l’un des « drames » des économies africaines : « Par exemple, entre 1980 et 2002, l’Afrique subsaharienne avait payé plus de 250 milliards de dollars sous forme de service cumulé de la dette, soit environ quatre fois le montant de la dette de 1980. Entre 1998 et 2002, elle avait remboursé 49.3 milliards de dollars contre des prêts estimés à 35 milliards de dollars. Soit un transfert net de 14 milliards aux pays riches. »

De fait, en spécialisant exagérément les économies africaines dans la simple fourniture de matières premières, le FMI et la Banque Mondiale ont organisé (via la funeste Politique d’Ajustement Structurel : P.A.S.) la dépendance stratégique à long terme de ces pays à l’égard du reste du monde. Ces institutions ont surtout aidé à l’expatriation d’immenses gisements de valeur ajoutée hors de l’Afrique, au profit des pays pauvres en matières premières. En effet, chaque fois que l’Afrique brade ses ressources naturelles, elle offre aux pays pauvres en matières premières les emplois nécessaires à leur transformation. C’est ainsi que les ressources naturelles africaines procurent chaque année du travail à des millions de ressortissants des pays pauvres en matières premières ; soit autant d’emplois soustraits aux « jeunes d’Afrique » depuis trop longtemps.

Désindustrialisation, Déruralisation, Emigration

Sous le joug de la Politique d’Ajustement Structurel, l’économie du Sénégal a détruit « au moins 1/3 » des emplois de son secteur manufacturier dans les années 1980 ; tandis que celle du Ghana perdait plus de 50000 emplois sur 78500, uniquement entre 1987 et 1993. En outre, les ratios d’investissement sont tombés de 23% entre 1975 et 1979 à 16% entre 1985 et 1989 ; 16% étant d’ailleurs la part que la Côte d’Ivoire réserve aux investissements publics dans son budget 2008, dont l’élaboration était parrainée par les « institutions de Bretton Woods ». Ce qui est proprement scandaleux pour un pays à peine convalescent d’une crise politique de quinze ans (depuis le décès d’Houphouët Boigny), et qui doit malgré cela consacrer 26% de son budget au remboursement d’une dette internationale déjà maintes fois remboursée.

Cette politique de désindustrialisation de l’Afrique vise à en faire, coûte que coûte, le débouché des produits finis fabriqués par les pays pauvres en matières premières ; lesquels traversent une crise de surproduction agro-alimentaire, en raison de leur agro-industrie obtusément productiviste. Ainsi, en plus des « décompressions » massives enregistrées partout en Afrique pendant la période des P.A.S., le concept de « sécurité alimentaire » a causé le démantèlement de l’agriculture africaine. En effet, grâce à un milliard de dollars de subvention par jour, les produits agricoles des pays de l’OCDE peuvent envahir les marchés africains, en chasser la production locale, et ainsi jeter les populations rurales sur les sentiers de l’exode, où elles vont s’entasser dans des bidonvilles insalubres de mégalopoles sans industrie ni services, donc sans emploi.

Cette déruralisation massive s’additionne à la désindustrialisation non moins massive pour former des flux hypertrophiques de « jeunes d’Afrique » désoeuvrés, dont certains se voient obligés de fuir le continent-mère pour aller jouer leur avenir individuel ailleurs, emportant souvent les derniers espoirs ainsi que la maigre épargne de leurs familles. Où l’on comprend que l’émigration de plus en plus nombreuse des Africains vers les pays pauvres en matières premières est une des conséquences systémiques du pillage des ressources naturelles africaines par ces mêmes pays. Un pillage qui prive les économies africaines des millions d’emplois liés à la transformation locale de leurs matières premières, ainsi que de l’acquisition des compétences technologiques inhérentes à cette transformation.

Un carcan monétaire : le franc des Colonies Françaises d’Afrique

Aux termes d’accords monétaires qu’elle a imposés dès 1939 à ses colonies d’Afrique, puis reconfigurés en décembre 1945, la France confisque automatiquement 50 dollars (ou autre devise) à chaque Pays Africain de la Zone Franc (PAZF) qui réalise 100 dollars (ou autre devise) de recette d’exportation. Le taux de cet « impôt CFA » était d’ailleurs de 65% jusque dans les années 1970, où il a été baissé. Par ce mécanisme, c’est l’équivalent d’environ 10000 milliards de francs CFA que le Trésor Public Français a encaissés en 2006, au titre d’une très hypothétique « garantie de changes » [4]. Ce dispositif de pillage monétaire des devises africaines par la France est unique en son genre dans les annales de l’histoire mondiale de la monnaie [5].

Ainsi, non seulement le pouvoir d’achat des recettes d’exportation des PAZF ne cesse de s’éroder, mais encore ces pays sont assujettis à un « impôt CFA » qui les prive quasiment de la moitié de leur masse monétaire globale. Or, une telle répression monétaire réduit drastiquement les possibilités locales de crédit, aussi bien à la consommation des ménages qu’à l’investissement productif des opérateurs économiques nationaux (paysans, petits commerçants ou jeunes entrepreneurs). Elle empêche sciemment la création endogène de richesses marchande, l’épanouissement de l’esprit d’initiatives économiques chez les autochtones, au profit de la mainmise des investisseurs étrangers sur les secteurs économiques rentables. Une telle contraction colonialiste de la masse monétaire réprime les opportunités de consommation des familles africaines ; tandis qu’en Europe ou aux Etats-Unis, les ménages recourent librement, voire licencieusement, aux crédits bancaires, notamment pour l’achat des biens d’équipement ménager, d’automobiles ou de logements. De fait, l’une des caractéristiques endémiques des PAZF, c’est la sous-liquidité excessive de leur économie, dans un contexte mondial d’inflation galopante des quantités de devises, notamment de la masse de dollars américains, dont le prix (ou le taux de change) ne cesse de dégringoler.

Toutefois, comme par un étrange hasard, de tout cela il n’a guère été question le 26 juillet 2007 à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. A croire que l’ancien ministre français du Budget dans l’un des gouvernements du Premier ministre Edouard Balladur, le « Père de la Dévaluation du franc CFA » en 1994, n’en savait rien. En fait, le « drame de l’Afrique », ce n’est pas tant que M. Nicolas Sarkozy feigne de l’ignorer ; c’est surtout que son propre pays en soit l’un des principaux coupables. La structure prédatrice et le caractère paupérisant des rapports économiques séculaires que la France inflige à l’Afrique constituent un facteur structurel prépondérant de la misère africaine. L’installation par la force d’affidés nègres à la tête d’Etats impotents, de même que le soutien indéfectible des gouvernements français successifs à ces dictateurs africains inamovibles, sont autant de « drames » qui ruinent chaque jour un peu plus les ressources humaines et naturelles africaines, au profit d’intérêts capitalistes étrangers. Tout cela est constitutif du « plus long scandale de la république » française [6].

Ceci dit, il appartient d’abord aux Africains eux-mêmes de s’imprégner profondément de ces réalités, et de les documenter toujours plus méticuleusement, car l’une des causes majeures de notre tragédie collective consiste également dans notre renoncement, ou notre incapacité, à comprendre réellement ce qu’il nous arrive [7] ; au point parfois de prendre nos fossoyeurs cyniques pour des sauveurs bénis.


Par KLAH Popo

NOTES

[1] Sous la direction de Makhily Gassama, L’Afrique répond à Sarkozy – Contre le discours de Dakar, éd. Philippe Rey, 2008.

[2] Dans son allocution de Dakar, datée du 26 juillet 2007, Nicolas Sarkozy présentait  comme suit les causes du marasme africain : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne mais l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable ou tout semble être écrit d’avance. Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin. »

[3] Demba Moussa Dembélé, Méconnaissance ou provocation délibérée ?,L’Afrique répond à Sarkozy, op cit, pp.77-108 in

[4] Nicolas Agbohou, Le franc CFA et l’Euro contre l’Afrique, éd. Solidarité Mondiale, 2000

[5] Joseph Tchundjang Pouémi, Monnaie, servitude et liberté – La répression monétaire de l’Afrique, éd. Menaibuc, 2000

[6] François – Xavier Verschave, La Françafrique – Le plus long scandale de la République, éd. Stock, 1999.

[7] Aminata Traoré, L’Afrique humiliée, éd. Fayard, 2008

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