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Le Koudmen, une alternative économique viable !

I/ Héritage africain de la société martiniquaise : de la langue au jardin

« […] au fur et à mesure que nous nous efforcions de nous croire Français « colorés », nous désapprenions à être des Haïtiens tout court […] l’homme le plus distingué de ce pays aimerait mieux qu’on lui trouve quelque ressemblance avec un Esquimau, un Samoyède ou un Toungouze plutôt que de lui rappeler son ascendance guinéenne ou soudanaise. »

Jean Price-Mars, 1927

 

Le livre de Juliette SMERALDA s’inscrit dans une précieuse lignée de publications donnant à décrypter l’africanité de la civilisation antillaise selon différentes perspectives, dont particulièrement celle que Jean Price-Mars inaugura en 1928 par la publication de son fameux « Ainsi parla l’Oncle ».

 

Africanité linguistique

En 1997, Ama Mazama publiait « Langue et identité en Guadeloupe – Une perspective afrocentrique ». P.31 : « Mon principal souci est de souligner l’apport de l’Afrique au guadeloupéen afin de contribuer à l’instauration d’un sens de continuité entre l’Afrique et la Guadeloupe. »

Dans la même période, plus exactement en 1998, Pierre Anglade a publié son « Inventaire étymologique des termes créoles des Caraïbes d’origine africaine », où il indique ceci (pp.13-15) : « Mes recherches m’ont permis de proposer des étymons africains à 762 mots du vocabulaire créole. […] Des analystes de la morphologie phonétique et historique pourront se servir de cet inventaire comme d’un point de départ pour retrouver les itinéraires des mots au départ de l’Afrique, à leur arrivée dans les Caraïbes, leurs voies de pénétration dans les différents pays, divers milieux sociaux où ils sont attestés […] »

En 1999, Medju Mkba (aka Marcel BOURGADE) publiait « Létyopi atè Matnik – Nanan Lafrik adan palé kréyol moun Matnik », où il s’insurgeait : P.41 «  […] de nombreux mots du Kreyol manifestement non européens se voient attribuer automatiquement comme étymon des origines amérindiennes […] » Pourtant, il est facile d’observer que P.51 : « […] le verbe être et le verbe avoir se conjuguent [en kréyol martiniquais] de manière comparable étymologiquement et phonétiquement à la façon de conjuguer ces mêmes verbes dans plusieurs langues Bantou, mais aussi éwé (Kwa) et dyoula (Mandé). »

 

Africanité paysanne

Dans ces recherches sur l’africanité de la civilisation antillaise, la perspective de Juliette Sméralda-Amon est innovante à plusieurs égards. D’une part, en tant qu’elle porte sur les institutions et pratiques culturales de la paysannerie martiniquaise. A noter que l’existence même d’une paysannerie à la  Martinique est un acquis scientifique relativement récent, que Juliette Sméralda attribue aux travaux de Christine Chivallon (1998).

D’autre part, le caractère pluridisciplinaire de sa démarche dite « socio-anthropologique », qui la conduit à appréhender sous ses multiples aspects le phénomène de l’entraide comme étant porteur d’une alternative civilisationnelle. On y reviendra.

Enfin, Juliette SMERALDA est une chercheure chevronnée, aux solides références académiques. Ce n’est pas toujours le cas pour les auteurs ci-dessus cités, à l’exception notoire d’Ama MAZAMA. Aussi, manque-t-il cruellement de chercheurs, ainsi que d’infrastructures de recherche dédiées, pour traiter sérieusement des questions si cruciales abordées dans ce livre par l’auteure. D’où le grand mérite de cette dernière…

Qu’est-ce qui fonde cette thèse de l’africanité des pratiques culturales martiniquaises ?

Démographie : D’un point de vue démographique, les effectifs de la population, a fortiori de la paysannerie, martiniquaise sont constitués très majoritairement des Afrodescendants, à une époque où l’on ne trouve quasiment plus de Caraïbes sur l’île ; ceux-ci ayant été exterminés par les colons européens. Or, dit l’auteure, ces Afrodescendants sont dépositaires de véritables savoir-faire en matière culturale ; lesquels sont documentés par de nombreuses références (Du Tertre, Debien, etc.). Au demeurant, c’est aussi pour exploiter leurs compétences en agriculture que des milliers d’Africains ont été déportés.

P.167 : « […] mise en esclavage dans la plantation, la personne d’origine africaine qu’elle est ne cesse d’être investie – dans le contexte du travail destiné à son autoconsommation – des savoir-faire africains dont elle est dépositaire pour cultiver son lopin, selon des codes culturels transmis de manière implicite et transgénérationnelle (mémoire sociale). Lesquels savoir-faire sont donc spontanément activés dans le contexte de la production de sa propre nourriture. » 

 

Archéologie : p.182 « […] la période déterminante dans l’ébauche des démarches domesticatrices proprement africaines se situa au pléistocène terminal, soit entre -9000 et -5000 (Portères/Barreau, p.727 et 743-744). »

Depuis près de 20 ans, Eric Huysecom, un archéologue suisse, conduit des recherches en pays dogon, notamment sur le site d’Ounjougou[1], dans le cadre d’un programme de recherche international et interdisciplinaire intitulé « Peuplement humain et évolution paléoclimatique en Afrique de l’Ouest ». Selon cet archéologue, le néolithique africain est probablement le plus ancien au monde. En tout état de cause, les dates de la céramique africaine (notamment à Talagalal) sont plus anciennes que celles du Proche-Orient.

Il résulte de ces données archéologiques que les Africains déportés (notamment des contrées ouest-africaines) étaient investis d’une tradition agricole, paysanne, de quelques dix mille (10000) ans. Par conséquent, une paysannerie martiniquaise très majoritairement constituée d’Afrodescendants a nécessairement mobilisé sa très longue expérience culturale ancestrale ; bien sûr, en l’adaptant à ses propres contingences socio-historiques et géoclimatiques.

 

Technique : les techniques culturales, de même que les plantes ou denrées cultivées en Martinique présentent de frappantes similitudes avec celles attestées de longue date en Afrique.

P.167 : « […] les techniques de labour, l’utilisation du sol, l’agencement des cultures, etc. soutiennent largement la comparaison avec les pratiques observées dans les sociétés africaines, dont Georges Balandier (1965) a donné un bel échantillon. Dans le même sens, Gabriel Debien (2000-208) explique, dans ses analyses des méthodes culturales mises en œuvre par les esclavagés, à quel point l’Afrique se retrouvait dans le travail des jardins-nègres. »

On peut également invoquer au soutien du propos de Juliette SMERALDA l’excellent travail de Louise Marie DIOP-MAES « Afrique Noire – Démographie, sol et histoire » (1996). Pp.149-150 : « L’agriculteur africain, même sur un sol ingrat et avec un climat à saison sèche assez longue, parvient à nourrir jusqu’à 100hab au km2 : c’est le cas des Dogon de la falaise gréseuse de Bandiagara. […] On sait peu que les Diola de Casamance avec leurs cultures  traditionnelles du riz inondé atteignent le même rendement, exactement, que le riziculteur traditionnel asiatique : 18 à 20 quintaux à l’ha. […] L’assolement triennal sérère autorise de l’ordre de 50 hab au km2. Les Kongo pratiquent couramment l’écobuage.

[…] On s’est aperçu maintenant que le système africain ancien des « cultures associées » présentait divers avantages irremplaçables dans certains cas : lorsqu’elles ne prennent pas au sol les mêmes substances, lorsque les racines plongent à des niveaux différents, lorsque telle plante a la propriété de détruire les bactéries qui ravagent sa voisine. »

 

II/ L’entraide, toute une civilisation !

Par civilisation, il faut entendre (p.21) : « la totalité des significations, des valeurs et des normes qui sont celles des individus en interaction réciproque et la totalité des institutions… qui objectivent, socialisent et transmettent ces significations. »

Le terme de civilisation est un choix fort, expressément assumé comme tel par l’auteure, car dit-elle (p.19) « il n’est toujours pas évident d’appliquer le terme civilisation à toutes les sociétés ».

Il s’agit pour Juliette SMERALDA de prendre vraiment au sérieux son objet d’étude, sans complexe ni fioriture. En effet, bien souvent nous avons (p.21) « une appréciation plutôt sommaire de nos us et coutumes envisagées sous l’angle de leur fonctionnalité, plus rarement en tant que manifestation singulière d’un Ensemble plus vaste de pensée, de représentations, de traditions, etc. »

Parler de paysannerie, c’est évoquer nécessairement une manière particulière de vivre, de vivre-ensemble, un rapport singulier à la terre, à la Nature. Toutes considérations qui sont irréductibles aux seules déterminations économiques, a fortiori capitalistes. Ainsi, le mode de vie paysan de la Martinique emporte tout un savoir-être qui se distingue résolument de la Plantation.

La plantation est monoculturale, tandis que la paysannerie est polyculturale. Le paysan n’est pas un esclave ; l’un étant propriétaire de sa propre personne, contrairement à l’autre. Le premier produisant pour soi et pour les besoins locaux, tandis que le second produit pour le maître une denrée spéculative. D’ailleurs, la formation d’une paysannerie martiniquaise commence vraiment à partir de l’Emancipation, voire de la Départementalisation ; soit bien après l’esclavage, même si le processus de cette formation pourrait être relié au marronnage et au « jardin nègre ».  Le paysan n’est pas non plus un salarié, sauf occasionnellement.

 

Au nombre des institutions particulièrement  emblématiques de la paysannerie antillaise, notamment martiniquaise, il y a l’entraide. On entend par entraide (p.23) « […] la mutualisation des efforts polymorphes et collectifs, en vue d’atteindre des objectifs communs ». Cette dernière est déclinée sous diverses formes ou dénominations (p.33) : Britè, Lasotè, Lafouyetè, Koudmen, Koumbit, etc.

 

III/ L’économie alternative comme une alternative économique

pp.314-315 : « L’agriculture vivrière pratiquée par la civilisation de l’entraide est exemplaire par ses qualités intrinsèques. […] Ses qualités lui viennent de sa propension à répliquer en quelque sorte la structure de l’écosystème naturel […] l’agriculture pratiquée par la paysannerie apparaît comme l’alternative à l’agriculture chimique ; seul moyen de promouvoir une agriculture écologique, qui use de biopesticides, et qui est en mesure d’assurer la sécurité alimentaire des populations, à long terme. »

 

La liberté de choisir les plantes que l’on va cultiver, ainsi que d’organiser ses travaux, selon ses propres valeurs et besoins, c’est-à-dire en toute responsabilité, est l’une des différences les plus saillantes de la condition de paysan comparativement à celle d’esclave ; voire de salarié.

Or, cette liberté de choix et cette responsabilité ouvrent la possibilité aux paysans d’expérimenter d’autres relations d’échanges que celles promues par la cupidité et la monétisation exacerbée des relations humaines ; avec leurs cortèges de violences (symboliques, physiques, psychiques, etc.).  Bref, l’Entraide n’est pas la Pwofitasyon…

Le modèle dominant dans l’économie martiniquaise – hérité de la plantation – se caractérise par ses extraversion et inégalité systémiques : travailler pour autrui, exporter ce que l’on produit, importer ce que l’on consomme, faible transformation locale de la production, forte inégalité de la répartition des richesses. Etc.

Depuis la Départementalisation, tous les efforts publics locaux, ou presque, en matière de politique économique ont concouru à la protection et à la pérennisation artificieuse de ce modèle obsolète, inégalitaire, aliénant ; comme s’il était impossible d’envisager la société martiniquaise autrement qu’extravertie, consumériste, hétéronome.

Contre cette fatalité, en marge du modèle de société dominant, persiste tant bien que mal dans les mornes une civilisation de l’entraide. Il urge de prendre cette civilisation paysanne au sérieux, comme véhiculant des valeurs et pratiques viables, efficientes, généralisables :

– Respecter la terre-mère, préserver la biodiversité

– Produire pour soi, produire ce que l’on consomme

– Transformer localement ce que l’on produit

– Extraire de la flore locale ses principales ressources médicinales

– Renforcer les échanges économiques et solidaires avec les pays voisins

 

Le Koudmen, ou « […] la mutualisation des efforts polymorphes et collectifs, en vue d’atteindre des objectifs communs », est devenu très à la mode aujourd’hui ; quoique sous des dénominations (crowdfunding, crowdsourcing, etc.) qui nous sont étrangères et à travers des pratiques différentes de celles rencontrées dans la paysannerie antillaise : offrir les places inoccupées de son véhicule lors d’un trajet, échanger deux semaines d’hébergement avec des vacanciers contre un futur séjour de durée équivalente dans leur appartement de France, etc.

 

De fait, tout le secteur de l’économie sociale et solidaire en pleine croissance aujourd’hui (et qui le sera davantage grâce à la Loi n°2014-856 du 31 juillet 2014) repose fondamentalement  sur les valeurs de partage, d’éco-responsabilité et de mutualisation consubstantielles à la civilisation de l’entraide ; laquelle constitue assurément une efficiente alternative socio-économique pour les Antilles – notamment pour la Martinique.

 

***

 

Seule une meilleure répartition « démocratique » des moyens publics locaux pourrait favoriser, à terme,  la transition progressive de la Pwofitasyon obsolète vers une culture Lasotè plus ouverte aux autres, parce que mieux enracinée dans son territoire géoclimatique et socio-anthropologique.

 

A titre d’exemple, on peut suggérer la création d’une plateforme internet locale – « Matnik Koudmen » – d’échanges solidaires de biens et services entre particuliers, ainsi que de financement participatif ; dont la vocation primordiale serait de promouvoir et consolider au sein du Peuple Martiniquais les institutions et pratiques ancestrales de Lasotè.

Cela dit, en Martinique, une véritable expansion de la civilisation de l’entraide supposerait certainement une mutation radicale de la superstructure foncière excessivement favorable à l’agriculture spéculative et polluante. Soit un tout autre projet de société que ceux en concurrence actuellement sur le marché des promesses politiques électoralistes.

 

 

 

KLAH Popo

septembre 2015


[1] Eric Huysecom,  Un néolithique ancien en Afrique de l’Ouest ?, Pour la Science, n°358, 2007, p.46.

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