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Cosmo-graphies soudaniennes de Youssouf Tata Cissé

La notion de personne en Afrique NoireDans sa magistrale contribution au colloque international du CNRS 1971 sur « La notion de personne en Afrique Noire[1] », Youssouf Tata Cissé a livré quelques clefs de compréhension des « Signes graphiques, représentations, concepts et tests relatifs à la personne chez les Malinké et les Bambara du Mali[2] ». Un travail exceptionnellement riche d’enseignements, dont on peut regretter vivement que, 40 ans après sa publication, il demeure encore presqu’entièrement inconnu des milliers d’étudiants nègres des universités françafricaines du « Pré-Carré » ; ces dernières étant occupées à les rendre toujours plus étrangers à une connaissance ancestrale de soi en tant qu’Africains. Que d’usines à fabriquer des générations d’élites aliénées !

Fu Ti -> Yere-Yere -> Nyã-Nyã

Pour une société donnée, la manière de comprendre l’être humain procède radicalement d’un discours plus fondamental et global sur la vie : son origine, ses formes, les modalités de leurs interactions, etc. Ce discours, cette cosmogonie, informe dans une large mesure ses institutions et pratiques spirituelles, politiques, économiques, voire artistiques.

Selon Youssouf Tata Cissé, les Malinke et les Bambara posent le concept « Fu Ti » à l’origine de la vie ; « Fu Ti » que cet auteur traduit par « néant ». Ou plutôt, selon ces Soudaniens, la vie procède originellement d’une « vibration » de Fu Ti,

ce néant dont on dit qu’il était à l’origine des temps obscur, frais, lourd (dense), uni et calme (statique) avant de vibrer, se rompre, s’illuminer et s’animer dans toutes ses parties sous l’effet de l’étincelle initiale […][3]». On appelle « Yere-Yere » cette vibration originelle ; laquelle dégagea une « énergie radiante » nommée Nyã-Nyã, qui « anime l’univers dans l’étendue et la profondeur incommensurables de ses couches […] [4].

Youssouf Tata Cissé interprète également le phénomène Fu Ti comme étant de la « matière » ; soit par conséquent la matière du néant. Il me semble alors plus approprié de mobiliser la notion d’antimatière, en vue de définir Fu Ti dont la vibration, à travers la mise en mouvement de ses propres constituants, créa les conditions initiales de formation de la matière ; c’est-à-dire de l’énergie Nyã-Nyã appréhendée sous sa forme tangible dans l’un des principaux états : gazeux, feu, plasma, liquide, solide. En tout cas, la représentation graphique de Fu Ti suggère cette polarité duelle antimatière/matière, dont les interactions produisent un phénomène qui les lie (horizontalement) autant qu’il les sépare (verticalement).


Fu Ti

Kara -> Nĩ -> Banãngolo

Quelque « éclat » aurait donc provoqué une vibration de Fu Ti, ce qui produisit une « énergie radiante » nommée Nyã-Nyã. A son tour, l’expansion du phénomène Nyã-Nyã entraina d’autres effets cosmiques, notamment « Kara » : « l’univers », « l’œuf du monde », « le cercle parfait » au sein duquel surviendront divers phénomènes biologiques, dont la physiologie humaine est emblématique.

Deux principes majeurs sous-tendent cette physiologie humaine, à savoir Di/Dya et Nĩ/Nyã, qui correspondent respectivement aux dimensions matérielle et énergétique de la personne :

Le nĩ, dit quelquefois nyi, est le principe de vie immatérielle, la source de vie impalpable, par opposition au di « la vie physique, ce qu’il y a de palpable, d’agréable au toucher » chez la personne […] ces deux notions indiquent respectivement le corps et l’énergie qui anime le corps. « Le nĩ est partout dans le corps, et notamment dans le bulbe rachidien, le cerveau, le cœur et le sang qui le véhicule au niveau de la moindre cellule.» […] [5].

En somme, c’est la vie humaine en tant qu’énergie ; tandis que di est cette même vie en tant que matière. Ainsi, le phénomène humain procède de l’évolution cosmobiologique de Nyã-Nyã dans le champ spécifique de l’univers Kara ; une fois que ce champ s’est formé. Au sein même de l’être humain, « en son for intérieur », Nyã-Nyã opère en tant que « nĩ » (ou nyã) que l’auteur traduit par « âme » : cette âme serait par conséquent de l’énergie cosmique irradiant la matière humaine, di, pour la faire fonctionner, la faire vivre ; c’est-à-dire au fond pour la faire vibrer. Il s’ensuit que l’homme, au plus profond de soi-même, est un être de vibrations : mk yęrę yęrę[6].

La graphie dite « Tozo ni bara dyuru » synthétise la physiologie humaine au niveau embryonnaire, fœtal, qu’elle subdivise en quatre parties essentielles :

Siri, « attache génétique » symbolisée par « le cordon ombilical » ;

Kolo kise, « graine de la noix de karité », ou « noyau de vie », qui consiste dans « l’ensemble sternum plexus solaire » ;

Fa kili, ou « oeuf du père » ;

Ba kili, ou « œuf de la mère ».

Tozo ni bara dyuru

Ce signe enseigne, entre autres, que l’être humain est biologiquement formé à parts égales d’éléments apportés par la mère, « Ba » et le père « Fa » ; et que généalogiquement la personne est un maillon d’une chaîne ancestrale. Auparavant, on aura compris avec la notion de nĩ que, sur le plan cosmique, l’être humain est le réceptacle d’une parcelle de la vibration originelle. Il en résulte que l’homme est, tout à la fois, un être cosmique, généalogique, biologique, etc.

En outre, « Tozo ni bara dyuru » figure aussi l’ensemble formé par « la trachée artère, le cœur et les poumons. » Cela nous amène au signe crucial de l’enfantement, banãngolo, qui concerne l’architecture générale de la matière humaine. Celle-ci se compose de 266 éléments, lesquels procèdent d’une gestation dont la durée moyenne est également de 266 jours. D’ailleurs, banãngolo « symbolise une femme couchée sur le dos en prise avec les douleurs de l’accouchement. »

Banangolo1

Les 266 éléments du signe banãngolo se décomposent comme suit :

1. – 33 vertèbres formant « l’axe et le support de la personne » ;

2. – 33 os du bras droit (5 ongles, 5 phalangettes, 5 phalangines, 5 métacarpiens, 8 os du carpe, 1 radius, 1 cubitus, 1 clavicule et 1 omoplate) ;

3. – 33 os du bras gauche ;

4. – 33 os de la jambe droite (5 ongles, 5 phalangettes, 5 phalanges, 5 métatarsiens, 3 cunéiformes, 1 scaphoïde, 1 cuboïde, 1 astragale, 1 calcanéum, 1 tibia, 1 péroné, 1 rotule, 1 fémur, 1 ischion et 1 os iliaque) ;

5. – 33 os de la jambe gauche ;

6. – 32 dents + 1 mâchoire inférieure mobile, dageleke ;

7. – 33 muscles majeurs, fasa kũba […] ;

8. – 33 artères  et veines majeures appelées « chemin du sang », dyoli sira ;

[…] Soit en tout 264 éléments auxquels il faut joindre la boîte crânienne kũ kolo « os de la tête » et le sternum, disi kolo, « os de la poitrine », ce qui fait 266. [7]

En définitive, cette prodigieuse contribution de Youssouf Tata Cissé nous laisse entrevoir l’immensité des ressources spéculatives ou opératives du discours soudanien et ses représentations graphiques sur la vie en général, sur l’être humain particulièrement. Elle atteste indéniablement d’une très ancienne connaissance approfondie, scientifique, de la vie et de l’humain, chez les nations soudaniennes concernées. Un trésor de savoir fondamental africain qui ne devrait pas rester lettre morte.

Ce, d’autant moins que certaines des notions rencontrées en évoquent d’autres documentées ailleurs en Afrique. En effet, Tozo ni bara dyuru fait penser au Sm3 T3wy ; tandis que les 266 éléments de banãngolo rappellent les 256 signes de la géomancie Afa. D’ailleurs, comme l’indique l’auteur,

[…] le banãngolo évoque pour les Bambara  et les Malinké l’une des origines des signes de la géomancie qui, comme on le sait, est une pratique divinatoire courante dans l’Ouest Africain. […] En effet, l’agencement […] des dix-huit segments verticaux du banãngolo permet d’obtenir trois signes géomantiques de la personne appelés fa, père, ba, mère, et d­, enfant, ou encore mk ba saba, « les trois substrats de la personne ». [8]

Outre la géomancie, le parallèle avec le Vodu réside également en ce que la vie est conçue comme une énergie cosmique, dont l’être humain n’est que l’un des réceptacles. Une énergie répandue dans tout l’univers qui, au décès de la personne, s’échappe de son « for intérieur » pour d’autres aventures cosmobiologiques. La mort peut-elle alors être comprise comme un processus de réduction de la matière vivante à l’état d’antimatière ? Et la vie comme une transformation énergétique d’antimatière en matière, à travers la « vibration » ?

Nonobstant, une telle conception énergétique de la vie – conception vibrationnelle de l’humain – est aux antipodes des élucubrations créationnistes de certaines traditions religieuses anti-scientifiques, qui dévoient tant d’Africains de leurs institutions et pratiques spirituelles ancestrales. Institutions négro-africaines profondément soucieuses de Vérité-Justice ; et, en cela, réfractaires à la foi aveugle, vulgaire. Obscurantiste…


KLAH Popo

Décembre 2011


[1] S/Dir Germaine Dieterlen, La notion de personne en Afrique Noire, éd. L’Harmattan, 1993.

[2] Youssouf Tata Cissé, in La notion de personne en Afrique Noire, op cit., pp.131-180.

[3] Youssouf Tata Cissé, op cit., p.133.

[4] Youssouf Tata Cissé, op cit., pp.133-134.

[5] Youssouf Tata Cissé, op cit., p.149.

[6] Youssouf Tata Cissé, op cit., p.132.

[7] Youssouf Tata Cissé, op cit., p.142.

[8] Youssouf Tata Cissé, op cit., p.141.

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