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Les contradictions axiologiques du Code Noir

De nombreux commentateurs du Code Noir ont souvent voulu le présenter comme une amélioration par rapport à la situation antérieure de « vide juridique » où l’esclave nègre était livré à l’arbitraire sans limite de son maître. Cependant, en toute rigueur, soit cette amélioration est de fait, alors il devrait être possible de vérifier que la condition d’esclave nègre est devenue meilleure sous l’empire du Code Noir qu’avant son application. Soit elle est de droit, alors d’une part l’on pourrait comparer les dispositions du Code Noir avec celles de textes contemporains ou antérieurs régissant la condition d’esclave, notamment celle d’esclave nègre, en France – voire en Europe. D’autre part, l’on devrait trouver dans l’économie même du texte la volonté de son auteur d’améliorer le sort des esclaves nègres, ainsi que les moyens juridiques idoines en vue de réaliser cette volonté.

C’est ce dernier aspect que nous examinerons brièvement ici, où l’on voudrait mettre en exergue des contradictions axiologiques internes à l’édit de mars 1685. Celles-ci, à notre avis, le rendent intrinsèquement incapables d’introduire quelque « progrès » dans le funeste sort infligé aux esclaves nègres ; sauf à prendre de vaines prétéritions pour des actes efficaces, tout en sachant que même « l’enfer est pavé de bonnes intentions ».


Auparavant, notons que les premières colonies européennes de l’Atlantique ont été installées en Afrique par les Portugais, dès le XVè siècle sur les îles de Madère, Açores, Cap Vert, São Tomé, où les mariages mixtes étaient légion, et où les phénomènes de créolisation n’ont pas eu besoin d’un Code Noir pour se développer – bien au contraire. Au demeurant, de nombreuses villes portugaises comptaient des milliers d’esclaves nègres ; ceux-ci étant estimés à 10000 rien qu’à Lisbonne vers 1550[1]. De plus, on estime jusqu’à 800 000 le nombre d’Africains déportés en Péninsule Ibérique entre le XVI siècle et le XVIIIè siècle[2].

Par ailleurs, un édit de Louis X Le Hutin, daté de 1315, dispose que tout être humain foulant le sol français est aussitôt un homme libre. Cette disposition aurait pu s’appliquer aux colonies françaises en tant qu’extensions territoriales ultramarines du royaume de France ; à moins que le Nègre ne fût pas vraiment un être humain dans l’entendement de Louis XIV. De plus, la recherche historiographique sur les conditions réelles des esclaves nègres dans les colonies françaises montre indéniablement que celles-ci se sont aggravées pendant l’application du Code Noir[3]. Plusieurs ordonnances ultérieures à mars 1685 ont eu tendance à en durcir les dispositions contre les esclaves nègres, de plus en plus nombreux, et donc présentant toujours plus de risques de révoltes et marronnages.

D’ailleurs, la nouvelle mouture du Code Noir, datée de 1724 et particulièrement destinée à la colonie de la Louisiane, traduit clairement cette tendance toujours plus coercitive et drastique à l’égard des esclaves nègres[4]. Enfin, selon Robert Chesnais, les maîtres étaient très rarement « inquiétés », même dans les cas avérés d’infractions au Code Noir ayant entraîné la mort d’un esclave nègre[5].


Les objectifs du Code Noir sont énoncés dans son préambule

L’édit de mars 1685 ne visait nullement à améliorer les conditions d’existence des esclaves nègres. En effet, aux propres termes de son préambule, le Code Noir est destiné à accéder aux requêtes ou autres doléances des colons français, dans un cadre axiologique imprégné de préceptes catholiques, et ainsi leur démontrer toute « l’étendue de la puissance » du Roi Soleil. Le texte avait expressément pour objet de :

1/ « maintenir [les colonies dans] la discipline de l’Eglise catholique, apostolique et romaine » ;


2/ « régler ce qui concerne l’état et la qualité des esclaves » ;

3/ étendre l’autorité régale aux colonies, en faisant connaître aux colons la « promptitude » du Roi de France à « les secourir dans leurs nécessités ».

Le Code Noir n’a donc nullement en vue de limiter le droit de propriété des maîtres sur leurs « biens meubles » d’esclaves nègres ; mais plus précisément il vient inscrire en droit des situations que des sujets du Roi de France se sont faites sous les tropiques, afin d’en tirer quelques précieux avantages pour la Couronne et son Trésor. Ainsi, ce que nous tenons parfois pour « contradictions » ne le devient que si l’on envisage l’édit de mars 1685 à l’aune de préoccupations qui n’étaient pas vraiment les siennes.


Un non-être juridique, sans capacité ni volonté

Avant Louis XIV et son édit de mars 1685, l’esclave était considéré – dans la tradition juridique européenne – comme un non-ayant droit de cité, c’est-à-dire un être humain sous la dépendance d’un autre être humain, dit « maître ». La principale différence entre « maître » et « esclave » consistait dans la liberté de l’un au regard de la non-liberté de l’autre ; dans le droit du premier à disposer au moins partiellement des fruits du labeur du second, sans contrepartie. Or, selon le Roi Soleil, l’esclave nègre est un « bien meuble », ainsi qu’il dispose à l’article 44 ; le maître devenant au fond propriétaire d’une chose anthropomorphe. Il semble que dans l’entendement du Roi de France, l’humanité du Nègre ne fut pas entièrement acquise ; ce qui aurait expliqué qu’elle disparaisse ainsi purement et simplement sous le statut de « bien meuble » en contexte d’asservissement.

Le corollaire de cette disposition, confirmée par l’article 46, est que l’esclave nègre est privé de capacité juridique (art.31) ; sa volonté ne pouvant produire aucun effet de droit, il ne peut rien contracter (ni vente, ni mariage), ni rien posséder en propre (art.28), même pas sa personne. Aussi est-ce logiquement que son témoignage est presque nul et non avenu (art.30) ; n’importe quel « sujet » du Roi pouvant exercer à son égard des actes de police ou de justice (art. 15, 16 et 21). Ainsi privé de toute capacité ou volonté, l’esclave est livré nu comme ver de terre par le roi de France au bon vouloir, à l’arbitraire, de son propriétaire.

Par ailleurs, le personnel judiciaire colonial est essentiellement constitué de propriétaires d’esclaves ; en sorte que toutes les dispositions renforçant leur droit de propriété sont appliquées, même avec un excès de zèle ; tandis que toutes celles qui tendraient à le limiter sont enfreintes ostensiblement -sans que personne n’y puisse rien, d’autant moins que le témoignage d’un esclave nègre ne compte pas. En conséquence, non seulement dans sa lettre le Code Noir n’améliore rien, mais dans les faits la situation des esclaves a empiré ; elle était des plus sévères dans les colonies françaises.


Ne pouvant exercer aucun droit, le « bien meuble » n’a pas de droit

Dans la mesure où les esclaves ne peuvent pas ester en justice, leur reconnaître quelque « droit » consiste en une vaine prétérition, car ils ne peuvent pas l’exercer : exactement comme si une vache avait le droit de poursuivre son propriétaire pour « mauvais traitements » ; cela serait rigoureusement sans aucun effet. Ainsi de l’article 26 qui feint d’attribuer à l’esclave le droit de se plaindre au « procureur général » en cas de non-respect par son propriétaire des obligations en matière de nourriture et habillement. Un tel droit est impossible à faire valoir, étant donné que le témoignage de l’esclave ne vaut rien et que ce « bien meuble » ne peut pas « être partie ni être en jugement ni en matière civile, tant en demandant qu’en défendant, ni être partie civile en matière criminelle […] ». L’esclave-meuble était souvent jugé par un juge-maître dans des procédures judiciaires où il était déchu de capacité juridique, et ne pouvait pas témoigner.


Le condamné n’est pas un esclave nègre

Bien souvent, on compare les dispositions du Code Noir avec la situation effective en Métropole de certaines catégories sociales. Or, soit on compare le droit appliqué aux esclaves nègres à celui appliqué à d’autres personnes ou catégories ; soit on compare la situation faite à ces personnes ou catégories avec celle documentée des esclaves nègres. De ce point de vue, les sévices encourus par un condamné en Métropole ne peuvent pas être rapprochés de la situation de l’esclave nègre en colonie. D’abord, les effectifs de condamnés en Métropole étaient infimes par rapport à la population d’esclaves aux colonies ; si bien que ce qui concernait quelques justiciables ici était progressivement banalisé là-bas.

En effet, il n’est pas besoin qu’un esclave soit condamné pour subir quotidiennement les pires sévices corporels ou psychologiques : la faim et l’extrême dénuement physique contribuaient à saper le moral des esclaves nègres ; le travail dans les plantations était régulièrement rythmé par des coups de fouets ; les sautes d’humeur de quelque maître ou contremaître rapportaient leurs lots de souffrances, sans omettre que n’importe quel « sujet » ou « habitant » avait le droit d’exercer des actes de police ou de justice à l’encontre de tout esclave nègre, sans même en référer à son propriétaire. De surcroît, le cas des esclaves condamnés était encore pire, outre qu’ils étaient beaucoup plus fréquemment condamnés au pire, non pas seulement par des autorités judiciaires, mais même et surtout par l’ensemble des colons.


Par KLAH Popo



[1] Didier Lahon, L’esclavage au Portugal. Utopie et réalité, in Cahiers des Anneaux de la Mémoire, N°3, 2001

[2] Didier Lahon, L’esclavage au Portugal : trois siècles de mémoire perdue, in Les Africains et leurs descendants en Europe avant le XXè siècle, éd. MAT, 2008, sous la dir. de Dieudonné Gnbammankou & Yao Modzinou, ch. 13, p.225 : « […] entre la seconde moitié du XVè siècle et l’arrêt des importations en 1761, au moins 400 000 Africains furent déportés vers le Portugal. […] Ce chiffre de 400 000 esclaves rejoint celui de 800 000 africains importés pour l’ensemble de la Péninsule Ibérique, dont la moitié pour le Portugal selon Alessandro Stella. »

[3] Jean-Baptiste Labat, Voyage aux Isles, chronique aventureuse des Caraïbes 1693-1705, éd. Phébus, 1993

[4] Louis Sala-Molins, Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, éd. PUF, 6è édition, 1998

[5] Robert Chesnais, Le Code Noir, éd. L’Esprit Frappeur, 1998, p.12 « Le dépouillement des archives judiciaires des Antilles montre que très rares ont été les propriétaires à avoir été inquiétés, encore moins condamnés aux amendes prévues, pour avoir outrepassé leurs droits. »


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