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Le Code Noir : aux sources juridiques de la négrophobie

L’Edit de mars 1685, surnommé « Le Code Noir », comporte soixante articles pris par le roi de France, à la suite de travaux préparatoires réalisés entre 1682 et 1683 par la commission Patoulet et De Begon, sous les auspices du Contrôleur général des finances, Jean-Baptiste Colbert. Ce Code Noir établit en Droit le fait par des Blancs (sujets du roi) de posséder des Nègres en tant que « choses mobiliaires » (art.46). Il règle ainsi axiologiquement les relations de propriété, et entre propriétaires, de « bois d’ébène » ; de même que les conditions d’exploitation de ce bois d’ébène dans les colonies sous autorité du Roi de France. A cet effet, le texte mobilise aussi bien le registre juridique que le registre religieux, en tant qu’il dit le Droit en s’appuyant sur la Bible, en vue de « maintenir la discipline de l’Eglise catholique, apostolique et romaine » (Cf. Préambule). Louis XIV constate qu’il en existe dans les colonies françaises des Antilles, et s’emploie à « régler ce qui concerne l’état et la qualité des esclaves ». Ce faisant, le Roi de France crée juridiquement la possibilité aux colonies pour tout Blanc (chrétien) de réduire tout Nègre à la condition de bois d’ébène ; c’est-à-dire de l’éradiquer sociologiquement du genre humain, tout en lui ménageant le minimum jugé nécessaire à son existence biologique – animale. En revanche, ce texte ne dit rigoureusement rien des circonstances historiques (dites de « la traite négrière ») par lesquelles on devient « esclave nègre » ; bien qu’il encadre avec rigueur les possibilités d’affranchissement et leurs conséquences (art. 55 à 59).

Esclave, ou « bois d’ébène » ?

Le Code Noir appelle « esclave nègre » ou « esclave » ce qui s’entend également par « bois d’ébène ». Or, un « bois d’ébène »  n’est pas à proprement parler un « esclave » ; sauf à insinuer que toute expérience historique de servitude humaine a vocation à répéter un paradigme particulier, érigé en aune indépassable. Réduire l’une des deux catégories à l’autre, c’est commettre une grave erreur épistémique ; laquelle erreur peut avoir des conséquences rédhibitoires sur la compréhension de « la singularité des expériences historiques ». Elle peut conduire – par exemple – à gloser sur un hypothétique « progrès », d’on ne sait quelle sorte, là où il n’y a eu que « monstruosité ».

L’esclave est un captif, souvent allogène, privé de droits civiques, sans pour autant être privé de toute capacité juridique. Au premier millénaire avant l’ère chrétienne, l’achat/vente de captifs est attesté dans le monde méditerranéen, comme une pratique très répandue. Ces captifs sont réduits en esclavage essentiellement à des fins d’exploitation domestique, notamment sexuelle, ou pour des fonctions agricoles, voire militaires. Cette économie esclavagiste persistait encore en Méditerranée au XVè siècle de notre ère, lorsque dom Henrique, un infant royal du Portugal (pays méditerranéen), entreprit de faire explorer les côtes atlantiques africaines ; et parraina en 1441 la première vente à Lagos de captifs africains razziés sur la « Côte de Guinée ».

Par contre, j’entends par « bois d’ébène » la condition sociale aux Amériques d’un Africain idéologiquement (Mythe de Cham) puis juridiquement (Code Noir) déchu d’humanité par les Blancs, entre le XVIè et le XIXè siècle. Ce n’est donc pas seulement une forme de servitude humaine (comme djam, wolo so, esclave ou serf), c’est une réduction de Nègre en objet, une chosification. Tandis que l’esclave a un maître, le bois d’ébène a un propriétaire. Le maître contrôle la vie de l’esclave, en détermine le cours à sa guise ; le propriétaire dispose de sa chose de plein droit, comme d’ailleurs d’un « bien meuble ». Par conséquent, de toutes les servitudes connues, la condition de bois d’ébène est assurément la pire. Elle seule nie toute capacité juridique à son objet, l’expose à être donné à manger aux chiens, brûlé vif, lynché, violé impunément dans une conjoncture judiciaire où ces occurrences, fréquentes et généralisées, n’emportent aucune condamnation de leurs auteurs, ou si rarement – lesquels auteurs formant pour l’essentiel la caste des juges coloniaux.

Sous le sceau catholique

Les articles n°1 à n°14 règlent la vie aux colonies, du baptême à l’enterrement, selon les us et coutumes catholiques. Le Code Noir s’ouvre par l’expulsion hors des colonies des « ennemis déclarés du nom chrétien », à savoir les Juifs (art.1). En 1654, les Portugais avaient repris à la Hollande la colonie de Pernambouc. Ils en expulsèrent les colons protestants et juifs, dont certains vont s’installer dans des colonies françaises de Guyane et des Antilles. Ce sont ces derniers qui sont à nouveau expulsés en 1685 par le Roi Soleil ; lequel interdit « tout exercice public d’autre religion que la catholique » (art.3). Le baptême catholique des esclaves est rendu obligatoire (art.2), le Roi de France ne reconnaissant d’autre mariage légal que catholique (art.8), même entre un conjoint esclave et une « femme libre » (art.13) ; avec une condition supplémentaire pour les esclaves qui consiste en l’accord préalable express de leur(s) maître(s) (art.11). Noter qu’il est très peu probable que la « femme libre » visée à l’article 13 soit une Blanche, qui épouserait ainsi un « bien meuble » dans le contexte de négrophobie exacerbée des colonies françaises. D’ailleurs, des ordonnances viendront préciser le texte dans ce sens, notamment en 1711, avec l’interdiction des mariages mixtes en Guadeloupe – interdiction généralisée par le Code Noir de 1724.

Régler l’état et la qualité des esclaves

D’abord, il s’agit d’installer fermement le captif africain dans un non-état civil spécialement conçu pour lui, où il est dépourvu de toute capacité juridique (art. 31), c’est-à-dire où l’expression de sa propre volonté est interdite, et ne peut produire aucun effet de droit, a fortiori contraire aux intérêts de son propriétaire (articles 15 à 21) : pas d’« arme offensive », pas d’ « attroupement de jour ou de nuit », pas le droit de vendre « aucune sorte de denrées », a fortiori « des cannes de sucre ». L’article 28 verrouille ce carcan, en disposant que l’esclave nègre ne peut rien posséder qui n’appartienne à son maître. L’esclave nègre ainsi juridiquement dénué de toute initiative individuelle peut être livré pied et poings liés au sujet du Roi, à son propriétaire légal. En tant que « bien meuble » (art.44), c’est très logiquement que l’esclave n’a aucune capacité juridique. Il ne peut être ni demandeur, ni défendeur, ni témoin. Il ne peut ni vendre, ni posséder, ni aller et venir. Le meurtre social du Nègre est ainsi validé par une mise en bière juridique. Par conséquent, tous les articles qui feignent de reconnaître des droits à cette « chose mobiliaire » consistent en vaines prétéritions. Ensuite, le maître est prié de bien vouloir pourvoir aux besoins vitaux de cette chose anthropomorphe à lui attribuée par la « certaine science, pleine puissance et autorité royale » de Louis XIV. L’esclave nègre ayant été méthodiquement muselé par le Code Noir, il revient à son propriétaire de lui « faire fournir » quelques moyens de subsistance : « farine de manioc », « bœuf salé », « poisson », « deux habits de toile » etc. Le tout selon les quantités et mesures déterminées par la « certaine science » du Roi Soleil.

Insécurité consubstantielle de la « chose mobiliaire »

Quand une chaise est hors d’usage, on s’en sépare dans une benne à ordures ; comme on enterre les esclaves nègres non baptisés « dans quelque champ voisin du lieu où ils seront décédés » (art.14). Quand une bête humaine est hors d’usage, le propriétaire ne va pas s’en encombrer outre mesure, comme une bouche inutile à nourrir (même aussi chichement que l’étaient les Nègres surexploités). Il ne va pas non plus payer des frais inutiles d’entreposage dans un mouroir, appelé « hôpital » au XVIIème siècle (art.27), et qui consistait généralement en une case délabrée et insalubre – que quelques rares habitations destinaient à cet effet – où officiait une vieille esclave en guise d’ « aide soignante ». Donc, la seule solution économiquement efficace consistait à éliminer physiquement le bétail humain jugé périmé. Aussi, bien souvent les esclaves « infirmes par vieillesse, maladie, ou autrement » étaient-ils purement et simplement assassinés par leurs propriétaires, qui les remplaçaient, au besoin, par de nouvelles acquisitions de bétail humain. D’où cette espérance de vie particulièrement éphémère du bois d’ébène dans les plantations antillaises, et une demande d’importation de captifs africains en croissance exponentielle au fil des siècles.

Par ailleurs, des sanctions sont prévues pour le non-respect des dispositions du Code Noir. Ainsi, le maître (ou son « commandeur ») encourt la peine capitale si et seulement s’il tue un esclave ; mais l’officier peut l’absoudre à sa guise, sans aucune forme de procès (art.43). En revanche, l’esclave est « puni de mort » s’il frappe son maître (art.33), voire toute personne libre (art. 34), s’il est convaincu de « vols qualifiés » (art. 35) ou de fugues réitérées (art. 38) ; tout comme s’il est coupable de fréquents attroupements de jour ou de nuit (art. 16). En sorte que ce fait récurrent et banal de donner la mort aux Nègres dans les colonies fut inscrit en droit comme un transfert de prérogatives des propriétaires vers le Roi (via ses officiers, qui sont eux-mêmes des propriétaires de bois d’ébène). Mais du point de vue des victimes, il est indifférent qu’elles soient mises à mort par le Propriétaire ou par un bourreau du Roi. En revanche, les propriétaires n’acceptèrent pas aussi docilement d’abdiquer de leur droit de vie et de mort sur leurs « choses mobiliaires ». Ils exécutaient plus souvent leur bétail nègre dans le cadre magistral de leurs habitations ; à moins de se faire rembourser la valeur vénale du supplicié, ainsi que le prévoit l’article 40. Or, comme le bois d’ébène n’avait aucune capacité juridique, son propriétaire pouvait l’accuser de tout et obtenir facilement gain de cause. Le dit propriétaire pouvait donc faire exécuter sa bête pour quelque fallacieux motif, et s’en faire rembourser « le prix de l’estimation ». Il va s’en dire que d’innombrables propriétaires abusèrent de stratagèmes pour se faire rembourser leurs assassinats judiciaires de Nègres.

Un effet de la « suprématie blanche »

La question de la réduction de Nègres en bois d’ébène n’était aucunement un cas de conscience pour les élites religieuses, politiques, intellectuelles européennes des XVIIè et XVIIIè siècle ; à quelques rarissimes exceptions près. La malédiction de Cham et les bulles papales des siècles antérieurs (Eugène IV en 1442, Nicolas V en 1454, etc.), ont instillé culturellement un racisme anti-nègre, parfois inconscient de soi ; confortablement installé dans ses certitudes blanco-bibliques. De fait, cet édit de mars 1685 est un signe crucial de la collusion séculaire du religieux avec le politique en Europe, en vue de perpétrer ce crime que l’on nomme improprement « Traite négrière » ; ou en tout cas pour en instituer idéologiquement la possibilité. D’ailleurs, dans les faits des personnes physiques ou morales religieuses exploitaient d’importantes quantités de bois d’ébène ; tandis que les Etats négriers européens soutenaient « la traite » législativement et financièrement. En ce sens, le Code Noir est le pendant politico-juridique des Bulles papales qui l’ont précédé de deux siècles. Ce texte juridique est également dans la filiation axiologique du Traité de Tordesillas (1494), parrainé par le Pape, et d’une série de textes analogues produits par les Européens, en vue de régler unilatéralement les modalités de leurs rapports aux non-européens. Toutes sortes de textes ayant concouru à fabriquer au fil des siècles une « culture de la suprématie blanche », dont nombre d’Occidentaux rechignent encore aujourd’hui à se départir – à l’instar du Prix Nobel, James Dewey Watson.

En tout état de cause, le Code Noir est très probablement le texte de droit le plus abject à avoir été jamais produit ; en tant qu’il établit juridiquement la possibilité que des êtres humains puissent posséder d’autres êtres humains au titre de « biens meubles ». Le Code Noir n’améliore pas la condition du bois d’ébène ; ni en Droit, ni encore moins en Fait ; au contraire il institutionnalise cette condition. En conséquence, on ne peut pas dire que Louis XIV « limite » les droits des propriétaires sur leurs bois d’ébène ; puisque ces droits n’existaient pas – n’étant reconnus par aucune loi – avant que cet édit de mars 1685 ne les leur accorde. Le Roi de France légalise la pratique consistant pour des Blancs à traiter des Nègres comme des animaux, en tout cas comme des « choses mobiliaires ». Or, qu’est-ce que légaliser, sinon délimiter le cadre juridique à l’intérieur duquel une pratique ou un usage est conforme à la volonté souveraine du législateur? Auquel cas, le Code Noir ne limite rien, au sens d’en restreindre l’étendue ; il délimite un nouveau droit de propriété – favorisant ainsi la multiplication des candidats à son acquisition. Le Code Noir confère une existence juridique à ce qui n’en avait pas auparavant, même si certaines de ses dispositions reprenaient celles d’ordonnances antérieures. Au fond, s’il a légiféré comme il l’a fait, c’est parce que Le Roi Soleil trouvait conforme à son idée de la morale (chrétienne) et à sa conception de la justice (française) le fait par des Blancs de réduire des Nègres en « choses mobiliaires ». Il traduisait ainsi en droit une opinion quasiment unanime chez ses contemporains européens, fussent-ils des hommes de lettres.


Par KLAH Popo

Références bibliographiques

– Gomes Eanes de Zurara, Chronique de Guinée, IFAN-Dakar, 1960

– V. Y. Mudimbé, L’odeur du père – Essai sur les limites de la science et de la vie en Afrique Noire, éd. Présence Africaine, 1982

– Louis Sala-Molins, Les misères des Lumières. Sous la raison, l’outrage, éd. Laffont, 1992

– Louis Sala-Molins, « Le code noir ou le calvaire de Canaan », PUF, 1998, 6ème édition

– Robert Chesnais, Le Code Noir, éd. L’Esprit Frappeur, 1998

– Rosa Amélia Plumelle-Uribé, La férocité blanche – Des non-Blancs aux non-aryens Génocides occultés de 1492 à nos jours, éd. Albin Michel, 2001

– Sophie BESSIS, L’Occident et l’autre. Histoire d’une suprématie, éd. La Découverte, 2003

– Youval Rotman, Les esclaves et l’esclavage – De la Méditerranée antique à la Méditerranée médiévale VIè – Xiè siècle, éd. Les Belles Lettres, 2004

– Nelly Schmidt, L’abolition de l’esclavage. Cinq siècles de combats XVIè – XIXè siècle, éd. Fayard, 2005

– Sous la direction de Aggée Célestin Lomo Myazhiom, « Esclaves noirs, maîtres blancs. Quand la mémoire de l’opprimé s’oppose à la mémoire de l’oppresseur », éd. Homnisphères, Paris, 2006

– Bassidiki Coulibaly, « Du crime d’être “noir”, un milliard de “Noirs” dans une prison identitaire », éd. Homnisphères, 2006

– Odile Tobner, Du racisme français, quatre siècles de négrophobie, éd. Les Arènes, 2007

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