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Le « Paysan africain » et « l’idée de progrès »

Si « l’idée de progrès » est impensable dans le cadre d’un « éternel recommencement », alors il suffirait de rappeler quelques innovations techniques réalisées par « le paysan africain » pour démontrer aussitôt l’inanité des considérations sur sa « répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles » depuis des millénaires :

– « le paysan africain » a inventé sa propre domestication des animaux et des plantes, il y a au moins dix mille ans[1]. Il travaillait alors avec des outils en pierre, terre, os ou bois ;

– il a inventé sa propre métallurgie du fer, en se dotant d’outils métallurgiques[2],

– il fabriquait des bijoux d’orfèvrerie, des fards à maquillage, des ustensiles en cuivre ou en bronze, plusieurs millénaires avant sa rencontre fatale avec « l’homme européen » ;

– il a bâti des habitations en pierre avec plusieurs étages à Jenné Jeno, dès le IIIè siècle avant notre ère[3]

– il possède une vaste connaissance des propriétés biochimiques des plantes issues de la flore l’environnant[4] ; propriétés dont il fait usage, depuis des millénaires, dans des protocoles thérapeutiques efficaces. Etc.

D’ailleurs, c’est « l’homme africain » qui a inventé le plus ancien calendrier connu, et dont procède le calendrier dit grégorien qui est actuellement en vigueur en Occident[5]. Cependant, pour l’essentiel, toutes ces réalisations datent de bien longtemps ; ce qui conduit à s’interroger sur les causes de l’atonie technologique constatée aujourd’hui chez « l’homme africain ». Ecartons encore une fois « l’éternel recommencement » comme argument spécieux, non plus par déduction, mais en tant que cela n’a vraiment rien à voir avec une quelconque conception du temps du « paysan africain ».

En effet, dans un excellent ouvrage intitulé Samba, Alain Anselin rend raison des similitudes structurales de la conception du temps dans plusieurs sociétés africaines, depuis l’Egypte pharaonique, jusqu’aux Dogon, en passant par les Béti et autres Bantu[6]. Le caractère extraordinairement dynamique de cette conception peut s’illustrer dans les expressions employées à son propos : « explosion d’une étoile primordiale », « retournement périodique du monde », « phases ascendantes et phases descendantes ».

On comprend alors que le temps est nécessairement mouvement, qu’il est impensable dans l’immobilité ; et qu’en tout cas « l’homme africain » l’entend exactement comme tel, plutôt que comme un « éternel recommencement ». Pour autant, le mouvement en quoi consiste le temps n’est pas nécessairement linéaire et cumulatif ; tel qu’il irait du « fond des âges » pour filer inexorablement vers « le progrès ». En effet, depuis une bonne trentaine d’années, des auteurs comme Cornélius Castoriadis ou Serge Latouche ont fermement invalidé l’évolutionnisme historiciste charrié, souvent avec naïveté, par « l’idée de progrès ». Les sociétés humaines naissent, grandissent/déclinent et meurent, selon leurs propres circonstances d’espace-temps ; dans un cycle de la vie analogue à celui des plantes, animaux, et autres êtres vivants.

En conséquence, les causes de l’entropie technologique de « l’homme africain » contemporain ne peuvent pas être imputées à une fallacieuse conception du temps. Elles doivent plutôt être recherchées dans les circonstances historiques particulières de son être-ici-et-maintenant ; lesquelles ont plusieurs fois changé, dans le passé, et peuvent encore se transformer à l’avenir.

Concrètement : alors que « le paysan africain » est l’acteur économique qui contribue le plus à la formation du PIB des pays africains, le monde rural africain est celui qui a reçu le moins d’investissements techniques, infrastructurels depuis les Indépendances, bien qu’il ait été le plus sévèrement saccagé par la Colonisation. Ainsi, à supposer qu’il en existe, les politiques publiques industrielles des Pays de la Zone Francs (PAZF) se détournent purement et simplement du « paysan africain », occupées à concocter des codes de l’investissement tout acquis au développement protégé des intérêts industriels et commerciaux de compagnies étrangères en Afrique, au détriment du soutient financier et technologique aux initiatives économiques autochtones[7].

En d’autres termes, le « paysan africain » est contraint de travailler avec les outils qu’il a hérités de ses ancêtres, parce qu’il se trouve dans un contexte politique où l’innovation technologique lui est rendue inaccessible par des politiques publiques indigentes ou inopportunes. On se rappelle qu’avec le soutient actif de la France, la Banque Mondiale avait exigé des PAZF, dans les années 1980, qu’ils démantèlent leur réseau de banques pour le développement agricole, et cessent ainsi d’encourager l’accès au crédit des paysans[8] ; les condamnant à continuer de travailler avec des machettes et des daba – plus de 100 ans après la deuxième Révolution Industrielle.

Or, dans le même temps, à travers la Politique Agricole Commune, les paysans européens étaient gavés d’aides financières, de subventions et crédits, en vue de renforcer la mécanisation de leurs moyens de production ; et ainsi d’inonder les marchés mondiaux de leurs surproductions agro-industrielles. Le retournement de ce cycle européen de la course à l’agriculture intensive a laissé sur la paille des centaines de milliers de petits agriculteurs surendettés, et qui s’appauvrissent de jour en jour, bien qu’étant entièrement « entrés dans l’histoire »…

Par ailleurs, malgré sa daba et sa machette, le paysan ivoirien, par exemple, est parmi les plus grands producteurs mondiaux de café et cacao. De façon générale, même avec des moyens techniques aussi rudimentaires, le « paysan africain » serait capable de nourrir tous les Africains, si d’une part les fruits de ses efforts étaient correctement rémunérés ; et qu’il ne se faisait pas spolier par des mécanismes iniques de formation des cours mondiaux fallacieusement appelés « détérioration des termes de l’échange ». D’autre part, outre qu’il est acculé à travailler les cultures d’exportation plutôt que celles de l’autosuffisance alimentaire, le « paysan africain » subit dans son propre pays une concurrence déloyale, inégale, des productions agricoles américaine et européenne multi-subventionnées. Ce qui le jette hors du village, sur les sentiers de l’exode rural pouvant le conduire parfois jusqu’à aller survivre comme quasi-esclave dans les champs de tomates sous serres de l’Europe méridionale.

Cet exode rural vide les villages africains de leurs forces vives qui vont s’entasser dans des mégalopoles n’ayant aucun emploi dûment salarié à leur proposer. Or, avec des outils rudimentaires, une main d’œuvre nombreuse est indispensable pour maintenir un niveau de productivité élevé, à défaut de l’accroître en raison du manque d’investissements technologiques. Ainsi la baisse tendancielle de la productivité de l’agriculture africaine résulte davantage des conséquences désastreuses de l’exode rural, plutôt que des méthodes agricoles africaines. Et cet exode rural est la conséquence de politiques publiques désastreuses que la France a contribué à imposer aux PAZF par le FMI et la Banque Mondiale, au cours des dernières décennies : économie de rente, ajustement structurel, surendettement, tutelle monétaire et financière, évasion des profits réalisés en Afrique par les firmes étrangères, etc.

En définitive, la perception fantasmagorique du « paysan africain » comme un être réfractaire à « l’idée de progrès » constitue une caricature facile, dont l’auteur croit pouvoir user pour ne pas regarder réellement dans les relations Europe-Afrique, telles qu’elles sont depuis si longtemps, la part prépondérante qui leur revient en ce qui concerne l’agonie civilisationnelle du continent noir. C’est une posture empreinte de duplicité, qui se détourne des faits documentés pour agiter des stéréotypes désuets et inopérants. Que Nicolas Sarkozy ne connaisse rien à l’Afrique est fort compréhensible. Mais comment est-il possible d’introduire une rupture paradigmatique dans la politique africaine de la France à partir d’une telle méconnaissance ? Sauf si en cette matière aussi, la rupture tant proclamée relève de l’imposture.


Par KLAH Popo


[1] Eric Huysecom, Un Néolithique ancien en Afrique de l’Ouest ?, in Pour la Science, N°358, p.49 : « Ainsi, loin d’avoir joué un rôle négligeable dans la révolution néolithique, l’Afrique semble au contraire avoir été le continent de plusieurs innovations majeures. »

[2] Sous la direction d’Hamady Bocoum, Aux origines de la métallurgie du fer en Afrique – une ancienneté méconnue, éd. UNESCO, 2002

[3] Louise-Marie Diop-Maes, Afrique Noire, démographie, sol et histoire, éd. Présence Africaine/Khepera, 1996

[4] Jean-Louis Pousset, Plantes médicinales d’Afrique. Comment les reconnaître et les utiliser ?, éd. Edisud, Aix-en-Provence, 2004

[5] Louise-Marie Diop-Maes, Des propos sidérants sur l’Afrique, in L’Afrique répond à Sarkozy – contre le discours de Dakar, éd. Philippe Rey, 2008, p.242 : « Rappelons que c’est un peuple noir africain qui a inventé plus de 4000 ans avant J.-C. le calendrier sidéral fondé sur l’observation de l’étoile Sirius, d’une périodicité de 1460 ans, et le calendrier solaire de 365 jours dont nous sommes aujourd’hui les héritiers. »

[6] Alain Anselin, Samba, éd. UNIRAG, 1992, p.166 : « Partout une grande étoile ou un œuf cosmique explose et enfante l’univers, partout un serpent cosmique vomit les êtres, partout un héros culturel s’identifie à eux, et postule que la « royauté » est l’univers. Partout l’explosion de l’étoile, le sacrifice du serpent et le régicide sont une seule et même chose. Partout les rituels sacrificiels répètent ce sacrifice primordial qui fonde et définit le pouvoir ; « instituent la circoncision et le mariage, déterminent les techniques de culture et de tissage, annoncent les pluies, règlent les récoltes ; distribuent le temps des travaux et des rites au long du calendrier des levers héliaques annuels d’un nombre limité de repères célestes : Canope ou Sirius, Orion, la Grande Ourse, Vénus, les Pléiades et les Hyades […] »

[7] Joseph Tchundjang Pouémi, Monnaie, servitude et liberté, éd. Menaibuc, 2000

[8] Nicolas Agbohou, Le franc CFA et l’Euro contre l’Afrique, éd. Solidarité Mondiale, 2000

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