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Esquisse généalogique des Jagados

Les chroniqueurs européens ont parfois abusivement imputé à des populations africaines anciennes des faits de cannibalisme, cruauté, ou barbarie. Cette indexation est à l’origine, entre autres, de la mythique réputation des « Jaga » : ou Giaca, Yaka, « Yagado ». Raphaël BATSIKAMA (Cf. « L’Ancien royaume Congo et les baKongo ») a tenté d’instruire le « Dossier Jaga», en confrontant les sources européennes (Pigafetta, Battel, etc.) avec des sources autochtones Kongo. Voici brièvement analyseé son interprétation de ce phénomène.

Des sources européennes sur les Jaga

A ma connaissance, la principale source européenne d’information sur les Jaga est Filippo Pigafetta. Or, cet écrivain italien n’avait pas visité le Kongo-dyna-Nza. Il s’est fondé sur les témoignages de Duarte Lopez (un juif converti au catholicisme) qui y a séjourné quelques années à partir de 1578.

Or, « Duarte Lopez n’a pas vécu en personne les ravages des Jagas tels qu’il nous les fait dépeindre par Pigafetta. Le général portugais Gouvea, dépêché pour y mettre, paraît-il, fin, arriva au Congo en 1571. Après avoir « pacifié » le pays qu’il quitte en 1576, il regagne Lisbonne le 24 septembre 1577. » [p.59] En somme, Duarte Lopez est arrivé en Afrique un an après la fin d’événements qu’il décrit sous la plume de Filippo Pigafetta, dont il est désormais admis que celui-ci a beaucoup extrapolé le récit de son informateur.

Etymologie de Yaka

Le mot yaka signifie s’informer du prix d’une marchandise, ou encore la réserver, voire l’acheter à crédit. C’est donc un terme Kongo spécialisé pour les pratiques de négoce. Le verbe yakisa qui en dérive signifie « faire la réclame » ; comme par exemple crier le prix d’une marchandise, afin d’attirer les prospects vers son étalage. Aussi, toujours selon Raphaël Batsîkama, les personnes chargées de telles opérations commerciales sont-elles renommées « agyaki », « biyaki » ou encore « bigyaki » [p.64].

En fait, les Biyaki étaient les courtiers indigènes, notamment ceux dont les Blancs s’attachaient les services d’interprètes pour leurs transactions, d’abord diplomatiques, ecclésiastiques, commerciales, puis rapidement criminelles. En effet, au début du XVIème siècle, les premières cargaisons portugaises de bois d’ébène déportées des provinces côtières du Kongo-dyna-Nza consistaient en butins de razzias perpétrés par les lançados ou autres colons de Sao Tomé.

Mais face à l’hostilité grandissante des populations côtières, et aux protestations épistolaires réitérées du Mwene Kongo auprès du roi du Portugal, il a fallu s’approvisionner en bétail humain de plus en plus loin des côtes, dans l’hinterland, hors le regard de la cour royale de Mbanza Kongo. Or, pour les Blancs de ce temps là (XVIème, XVIIème, voire XVIIIème siècles), un milieu équatorial humide comme le bassin du Kongo représentait un obstacle naturel, d’une hostilité meurtrière. D’où la nécessité structurale pour eux – résolus à déporter massivement des Nègres, en vue d’exploiter les richesses de leur « Nouveau Monde » – de recruter du personnel local employé pour les razzias au loin.

Ces circonstances transformeront progressivement certains Biyaki (courtiers, interprètes, agents de commerce) en « Jagado », c’est-à-dire en mercenaires coupeurs de bois d’ébène pour le compte de négriers étrangers. Au demeurant, la métamorphose d’une fonction commerciale endogène en une pratique criminelle hétéronome est signalée par le passage d’un terme proprement africain, « biyaki » en un néologisme créole « jagado ». Cette caste de mercenaires indigènes s’isolera de la population, délimitera ses propres espaces de vie et de prédation, par démembrements successifs du vaste territoire de la fédération politique Kongo-dyna-Nza, à l’époque d’une superficie supérieure à deux (2) millions de kilomètres carrés.

Ainsi, l’un des plus grands et prospères Etats africains anciens subira d’interminables guerres de sécessions, dont les captifs alimenteront les déportations négrières ; à tel point que cette région du bassin du Kongo a été la plus saignée d’Afrique entre le XVIè siècle et la fin du XIXè. C’est aussi là que séviront, au début du XXè siècle, les agents criminels du roi des Belges, Léopold II, lors de ce qu’Adam Hochschild a appelé « un holocauste oublié », et dont les victimes nègres sont estimées à 10 millions de personnes.

Topographie du phénomène Jagado

D’après les témoignages d’Andrew Battel, enlevé en 1601 par des Jaga, ceux-ci se nommaient eux-mêmes « Tsiambangala ou Bansidi, Bandjindi ». Auquel cas il se serait agi de « Nsi a Mbangala », c’est-à-dire des ressortissants de la région Kongo-dyna-Nza dite Mbangala. Aussi, « Basindi » signifie-t-il qu’ils étaient du lignage « Nsindi a Nimi ». En conséquence, Jaga ne désigne ni un ethnonyme, ni un toponyme, particulier. C’est plutôt une catégorie sociologique élaborée au XVIIè siècle, par l’économie négrière transatlantique, dans l’espace-temps du bassin du fleuve Kongo. Jagado est donc une appellation générique désignant les mercenaires indigènes, coupeurs de bois d’ébène ; à l’instar de la « bande à Djen-ken » dans le Rio Pongo, ou des confréries d’Obutong et d’Ikot Etundo à Kalabari – au XIXème siècle.

« Entre 1605 et 1609, le « grand chef lûnda » Kinguri arrive à Luwânda pour demander des pouvoirs et un royaume au gouverneur portugais. Il obtint non seulement son royaume mais aussi le titre de « Jaga », très à l’honneur à l’époque dans le milieu des hommes de paille et de leurs maîtres. Ainsi beaucoup d’aventuriers lûnda viendront se faire couronner « Jaga » à Luwânda et recevoir des « royaumes ». Ceux-ci sont sous la tutelle des Portugais qui les appellent »Jagado ». Ces « Jagado » vont être semés à travers le Kongo-dya-Mpângala (MWINI WINGI) et même au Kongo-dya-Mulaza (KWANGO-KWILU) […] » [P.62]

Les Jagado qui ont particulièrement prospéré dans les razzias négrières recevaient des colons européens, en guise de « royaumes », des territoires spoliés aux autochtones africains. En échange de leur intronisation, ils payaient aux rois négriers européens (notamment portugais) d’importants tributs annuels essentiellement constitués de captifs nègres. Afin de collecter de tels volumes de bétail humain, ces affidés locaux de négriers européens recevaient des quantités d’armes à feu, voire des contingents de ce que nous appellerions aujourd’hui des « conseillers militaires ». Le gouverneur de Sao Tomé et autres colons européens des côtes africaines percevaient régulièrement des prébendes en cargaisons négrières ; et organisaient eux-mêmes leurs expéditions de razzias.

Toutefois, la gigantesque pression de la demande américaine d’esclaves nègres devenant de plus en plus difficile à satisfaire par ce réseau de vasselage, des conflits éclatèrent entre certains « royaumes Jagado » et leurs parrains européens. C’est ainsi que les armes fournies en vue des rezzou se retournaient parfois contre leurs fournisseurs, accentuant la réputation de cruauté de partenaires devenus rebelles.

En définitive, ces mécanismes socio-historiques de l’époque négrière transatlantique sont très similaires à des événements politiques plus récents survenus en Afrique dite post-coloniale : tel « gouverneur nègre », infligé aux populations africaines par des puissances étrangères, en vient « bizarrement » à se rebiffer, et acquiert subitement une réputation médiatique internationale de cruelle sanguinaire ; après avoir été pendant des décennies un « fidèle ami » de qui vous savez. Après avoir installé et soutenu un « jagado » nommé Mobutu au Zaïre pendant des décennies, des intérêts étrangers promeuvent en République Démocratique du Congo un contexte sécessionniste permanent, attisant divers risques de chaos politiques ininterrompus, ayant pour but d’affaiblir, ou de rendre impossible, tout pouvoir fédératif légitime, afin de continuer à piller les immenses ressources naturelles de ce grand pays africain, au détriment de dizaines de millions d’Africains.

Ainsi, l’histoire des affidés africains de la domination exploitation de l’Afrique par des étrangers est au moins aussi vieille que celle de la défaite des pouvoirs traditionnels locaux (Mansa, Oba, Mwene) face à la supériorité militaire de leurs assaillants. La compréhension de cette défaite, et la connaissance des mécanismes séculaires de vasselage entre l’Afrique et l’Europe/Occident, est une condition impérative pour enfin s’en relever ; et devenir véritablement les principaux acteurs historiques de notre avenir collectif – en toute souveraineté, par soi, pour soi et à l’égard de quiconque.

Par KLAH Popo

Bibliographie

– Adam Hochschild, Les fantômes du roi Léopold – un holocauste oublié, éd. Belfond, 1998.

Raphaël BATSIKAMA BA MAMPUYA MA NDAWLA, « L’Ancien royaume Congo et les baKongo », éd. L’Harmattan, 1999.

Nicolas Ngou-Mvé, Sao Tomé et la diaspora bantou vers l’Amérique hispanique, in Cahiers des Anneaux de la Mémoire N°3, 2001

José Curto, Un butin illégitime : razzias d’esclaves et relations luso-africaines dans la région des fleuves Kwanza et Kwango en 1805, in Déraison, esclavage et droit, les fondements idéologiques et juridiques de la traite négrière et de l’esclavage, éd. UNESCO, 2002

Joseph Ballong-Wen-Mewuda, L’esclavage et la traite négrière dans la correspondance de Nzinga Mbemba (dom Alfonso I), roi de Congo (1506-1543) : la vision idéologique de l’autre, in Déraison, esclavage et droit, les fondements idéologiques et juridiques de la traite négrière et de l’esclavage, éd. UNESCO, 2002

– Filippo Pigafetta & Duarte Lopes, Le royaume de Congo & les contrées environnantes (1591), éd. Chandeigne / UNESCO, 2002

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