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De la “colonialocratie” en Afrique Noire

La surface de la RDC couvre quasiment l'Europe

La surface de la RDC couvre quasiment l'Europe

J’entends par « colonialocratie », le fonctionnement d’une société politique fondée par une puissance coloniale, selon les desiderata de ladite puissance, en vue de poursuivre des fins assignées par cette dernière et qui font désormais système.

Ce néologisme vise par ailleurs à nuancer celui de la « postcolonie »[1], qui tend à insinuer que l’ère coloniale serait (dé)passée ; lors même que celle-ci surdétermine encore largement les phénomènes politico-économiques des sociétés africaines contemporaines qu’elle a engendrées.


Le « Pré carré », un domaine colonialocratique

Le « Pré Carré » est une grande superficie de terre africaine circonscrite par la France pour les besoins de son empire. C’est donc un vestige de la colonisation française, échu entre les mains d’une minorité sociologique privilégiée parmi les autochtones victimes de l’aventure coloniale. Cette minorité consistait essentiellement au personnel africain de l’administration coloniale française solidement inféodé à la métropole par des « accords de coopération » signés dès l’orée des indépendances, à partir de 1959.

Jusqu’à nouvel ordre, la colonisation demeure ainsi la principale matrice de génération des phénomènes politiques survenant dans ce Pré Carré : la situation politique des pays qui la composent est incompréhensible en dehors de leurs rapports complexes, parfois névrotiques, avec la métropole (néo)coloniale française, et les actes juridiques « secrets » qui règlent ces rapports. Ces avatars coloniaux se donnent pour des sociétés politiques prétendument autonomes, « indépendantes ». Mais de telles sociétés ne sont pas, et ne sauraient jamais être, démocratiques.

En effet, c’est dès sa fondation – et donc dans son fondement – qu’une société est ou n’est pas démocratique. Aussi, dans la mesure où la société politique « précarréenne » n’a pas été fondée par les Africains eux-mêmes, selon des lois qu’ils se sont librement données, cette société n’est-elle pas démocratique. Elle ne peut le devenir a posteriori, par simple pétition de principe ou par mimétisme institutionnel.

De par leur généalogie, les sociétés du Pré Carré sont colonialocratiques, en tant qu’elles ont été fondées par une puissance coloniale, selon les préoccupations de la dite puissance exogène ; sans égard aux institutions et pratiques politiques traditionnelles des populations autochtones. C’est ainsi que l’économie précarréenne fonctionne surtout en vue de pourvoir sa métropole en matières premières, en marchés publics passés de gré-à-gré, en espace économique livré au quasi-monopole de multinationales françaises, ou encore en devises provenant de leurs recettes d’exportation au titre de la « garantie de change ».

C’est donc une excroissance de l’économie métropolitaine, où les opérateurs économiques métropolitains occupent, avec leurs partenaires locaux, des positions hégémoniques dans de nombreux secteurs relativement inaccessibles aux autochtones évincés du marché des crédits bancaires à l’investissement et à la consommation. Cette phagocytose de l’espace économique précarréen par les métropolitains a pour conséquence l’invasion des institutions politiques locales par des intérêts privés autochtones, telle que bien souvent les plus riches « indigènes » ont fait fortune grâce au détournement des deniers publics, plutôt qu’à quelque succès dans les activités économiques, dont ils n’ont généralement aucune science. Ainsi, la res colonialocratica est fondamentalement l’objet quasi-exclusif de stratégies individuelles, ou oligarchiques, d’enrichissement personnel : lieu par excellence de prévarication, gabegie, corruption et autres gaspillages des ressources collectives pour le grand malheur des nations négro-africaines, si misérables dans leurs pays aux sol et sous-sol particulièrement riches.

En conséquence, si les Africains vivant dans ces ectoplasmes d’Etat veulent vraiment de la démocratie, alors ils devraient nécessairement renoncer aux institutions du Pré Carré, telle qu’elles résultent de l’empire français, du « Pacte colonial » [2], pour en inventer d’autres en toute souveraineté, selon leurs propres traditions politiques ancestrales. De ce point de vue, la résurgence de velléités démocratiques dans le Pré Carré ne pouvait que provoquer de graves crises politiques ; à l’instar de ce que connaît la Côte d’Ivoire depuis que les Ivoiriens ont commencé à choisir eux-mêmes leur chef de l’Etat, à initier des changements constitutionnels et institutionnels majeurs, étroitement inspirés de leurs propres aspirations collectives.


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Un personnel politique coopté

Les Bokassa, Eyadéma (père et fils), Ahidjo, Bongo, Ratsiraka, Biya, Sassou, Compaoré, Déby, Patassé, Habyarimana, qui ont gouverné ou qui gouvernent l’Afrique du Pré Carré français depuis les indépendances, ont été installés ou maintenus au pouvoir par des officines françaises, afin de préserver les intérêts stratégiques ou économiques de la métropole, de ses entreprises et ressortissants dans les anciennes colonies africaines de la France.

De fait, l’un des mensonges les plus répandus en France sur l’Afrique contemporaine consiste à prétendre que ce pays aurait abandonné les Africains à leur funeste sort depuis quelques décennies, renonçant par exemple à payer les fins de mois difficiles de régimes corrompus ou incompétents. Or, la France ne s’est jamais occupé d’améliorer le sort des populations africaines, que le Code de l’Indigénat réduisait à l’esclavage. Elle a plutôt recruté sur place un personnel autochtone éduqué pour relayer ses propres mots d’ordre, lequel retire un pouvoir exorbitant de ce rôle d’interlocuteur coopté de la Métropole.

Le Pré Carré n’a jamais été aussi solidement tenu en laisse par les réseaux françafricains tentaculaires, souvent maçonniques, soutenus ou développés par tous les gouvernements élyséens successifs, fidèles tuteurs des pires dictateurs africains, appuyés par un maillage de bases militaires unique en son genre sur le continent, et surtout relayés en Afrique même par un nombreux personnel (universitaire, politique, économique) franco-africain travaillant à son enracinement.

Une politique économique assujettie

Ce qui est généralement présenté comme un « retrait » de la France (ou de toute autre puissance coloniale) consiste davantage en une mutualisation internationale de la domination du monde par les pays dits « riches », à travers le G8, le Conseil de Sécurité, les « institutions de Bretton Woods » et autres Institutions Financières Internationales. Ainsi, une fois élues, ou plus exactement cooptées, les élites africaines colonialocratiques n’ont plus d’autre ambition en matière de politique économique que de recevoir leur « feuille de route » de la part des Institutions Financières Internationales étroitement dirigées par les Métropoles coloniales ou leurs divers groupements stratégiques.

Les aspirations profondes des populations africaines sont alors obviées au profit de l’application servile de recettes absconses concoctées par des fonctionnaires occidentaux, pour la plupart, complètement ignorants des réalités africaines, que souvent ils méprisent. La faillite prévisible de telles solutions systématiquement hétéronomes, et surtout les désastres sociaux massifs qu’elles ont occasionnés en Afrique Noire, ont achevé de discréditer aussi bien ces gourous étrangers de la politique économique africaine que leurs fidèles relais intellectuels et politiques autochtones.

Ces derniers ont abdiqué ou bradé le droit inaliénable, par principe, des nations nègres à disposer de leur propre destin collectif, à décider et agir pour elles-mêmes, selon leurs seules aspirations : « Les Africains devraient le savoir, maintenant, et commencer par s’interroger sur la légitimité de l’ingérence des institutions de Bretton Woods dans chaque aspect de leur existence. […] L’Etat africain doit revendiquer ses prérogatives au lieu de capituler au nom d’investissements étrangers qui ne viennent pas, ou à des conditions inacceptables – bas salaires, pollution de l’environnement, rapatriement des bénéfices. […] L’accueil méprisant réservé par la Banque Mondiale au Plan d’action de Lagos, qui avait mobilisé une quantité considérable de compétences africaines et d’énergies, reste gravé dans la mémoire de la plupart des cadres et des dirigeants africains impliqués dans l’élaboration de ce document, dont le seul tort était sans doute d’avoir été conçu en Afrique même. » [3]

Un Bwana au milieu de Bamboula, ou l'imagerie colonialiste par excellence

Un Bwana au milieu de Bamboula, ou l'imagerie colonialiste par excellence


Crise de la colonialocratie en Afrique Noire

Pour diriger un pays du Pré Carré, il suffit généralement d’être membre du personnel indigène de l’administration coloniale, adoubé par la métropole coloniale, très attentif aux intérêts locaux de la puissance coloniale ; veiller scrupuleusement à l’épanouissement desdits intérêts, y compris au détriment des populations autochtones, grâce à l’application servile des « accords de coopération » contractés à l’insu des citoyens africains. En échange de quoi, le docile filleul africain bénéficie de la tutelle militaro-politique de la métropole ; toujours prompte à intervenir pour sauver le régime autoritaire, y compris et surtout pour le malheur des populations locales.

Quelques dirigeants africains (avisés ou opportunistes?) ont bâti leur fortune politique sur une bonne connaissance de cette conjoncture, dont ils ont su tirer le plus grand parti ; un cas emblématique étant celui de Félix Houphouët Boigny. D’autres ont payé de leur vie pour s’en être pas accommodés : Patrice Lumumba, Amani Diori, Thomas Sankara. D’autres encore ont vu leur régime péricliter parce qu’il n’y était pas conforme : Marien Ngouabi, Sékou Touré.

Toutefois, dorénavant la société colonialocratique n’est plus viable ; étant devenue obsolète : difficile tutelle militaro-politique de régimes autocratiques gravement affaiblis par les funestes Politiques d’Ajustement Structurel et leur cortège de misère, déruralisation, désinvestissement public en matière d’éducation, santé, emploi, etc. Difficile également de sélectionner du personnel politique docile dans une population africaine presque entièrement renouvelée – par son rythme naturel de croissance démographique particulièrement rapide – depuis la signature des fameux « accords de coopération », avec la disparition progressive des générations formées par l’école coloniale pour servir la colonisation et ses oripeaux.

De plus, ces difficultés de recrutement sont aggravées par la montée de la xénophobie institutionnalisée dans les pays colonisateurs, où les « indigènes » sont de plus en plus malmenés par des politiques très coercitives, voire racistes, contre les immigrants africains. Une fois rentrés (ou expulsés) en Afrique, ces derniers sont fortement dissuadés de se faire les ambassadeurs zélés de pays étrangers qui les ont si mal reçus, souvent avec haine ou mépris.

Pourtant persistent et se consolident de gros intérêts de la métropole en Afrique – quoique sévèrement concurrencés par la mondialisation – même et toujours au détriment des populations africaines qui n’en peuvent plus ; intérêts dont la défense subreptice est devenue particulièrement délicate dans un contexte d’expansion des nouvelles technologies de l’information qui démythifie la Métropole. En effet, celle-ci n’a plus un monopole exclusif des informations géostratégiques qui lui permettait d’isoler les habitants des pays du Pré Carré les uns des autres, et aussi des enjeux globaux, tout en les contrôlant grâce aux mêmes recettes de domination employées partout, selon des modalités quasiment identiques.

Désormais, pour exercer le pouvoir politique en Afrique Noire, demain encore plus qu’aujourd’hui, il faudra recevoir à cet effet un mandat populaire en bonne et due forme, être personnellement et judiciairement responsable du bon exercice de ce mandat, se porter garant de la souveraineté pleine et entière de la société politique, travailler expressément dans le seul intérêt de la population locale ; y compris lorsque cela irait à l’encontre d’intérêts coloniaux séculaires.

De cette configuration institutionnelle en gestation, je dis qu’elle pourrait être afrocentrique, au sens où elle considèrerait les problèmes et leurs solutions africains, d’abord et surtout d’un point de vue fondamentalement négro-africain : lieu institutionnel d’actualisation autonome d’un discours de soi, sur soi et pour soi, en tant que libre-acteur historique de son propre devenir collectif d’Africain. Entre ce qui est bientôt révolu (la colonialocratie) et ce qui n’est pas encore (la démocratie afrocentrée), il y a une période appelée « crise », de chaos, dangers, mais également d’opportunités. Aussi, une réflexion théorique permet-elle de prendre la mesure des enjeux qui se nouent et/ou se dénouent dans cette période si critique, où la politique en Afrique contemporaine est à un tournant majeur.


Par KLAH Popo

NOTES

[1] Achille Mbembé, De la Postcolonie – Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, éd. Karthala, 2000

[2] Koulibaly Mamadou, Les servitudes du pacte colonial, éd. CEDA / NEI, Abidjan, 2005. Dans cet ouvrage, le professeur Koulibaly Mamadou, actuel président de l’Assemblée Nationale ivoirienne, met à la disposition de ses concitoyens l’ensemble des actes juridiques constitutifs des « Accords de Coopération Franco-Ivoiriens ». Ces ACFI instituent véritablement la Côte d’Ivoire dite « indépendante » ; ils figurent donc la vraie constitution de cette entité politique. Aux termes de cette constitution exogène, occulte et aberrante, l’Etat de Côte d’Ivoire naît du transfert aux autorités territoriales ivoiriennes de certaines compétences de la « Communauté franco-africaine », dont le président est le chef de l’Etat de la république française. En d’autres termes, l’autorité politique suprême de la Côte d’Ivoire prétendument « indépendante » reste en réalité le président de la république française, en tant que président de la fameuse « Communauté » pourtant réputée désormais abolie. Le locataire de l’Elysée est le parrain « secret » du Pré Carré, dont les chefs d’Etat sont les délégués.

[3] Aminata Traoré, Le viol de l’imaginaire, éd. Fayard / Actes Sud, 2002, chp. 5, Mots clés et mots d’ordre.

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