A sample text widget

Etiam pulvinar consectetur dolor sed malesuada. Ut convallis euismod dolor nec pretium. Nunc ut tristique massa.

Nam sodales mi vitae dolor ullamcorper et vulputate enim accumsan. Morbi orci magna, tincidunt vitae molestie nec, molestie at mi. Nulla nulla lorem, suscipit in posuere in, interdum non magna.

« Egypte Nègre » : une controverse obsolète

En égyptologie, la question de savoir si Kamê était une civilisation négro-africaine devient de plus en plus obsolète, notamment depuis le colloque du Caire en 1974 sur « le peuplement de l’Egypte ancienne et le déchiffrement de l’écriture méroïtique », et surtout depuis le colloque de Barcelone en 1996 intitulé « Africa Antigua – El antiguo Egipto, una civilizacion africana ». Cet article rappelle  certains éléments constitutifs des acquis historiographiques récents sur la civilisation égyptienne ancienne comme « una civilizacion africana ». Malheureusement, du côté de l’africanisme, français en particulier, ces acquis de l’égyptologie quant à l’africanité de Kamê restent tenus à distance académique ; les africanistes gaulois continuant d’étudier l’Afrique sans l’Egypte ancienne, instituant ainsi un « apartheid épistémique » tellement regrettable, et surtout dépassé.


L’argument désuet du « carrefour géographique »

D’aucuns prétendent que l’Egypte antique est « située à un carrefour géographique entre l’Afrique et l’Orient ». Or, la question de « l’origine » telle qu’elle est formulée en afrocentricité est plus proprement d’ordre généalogique plutôt que simplement géographique. De ce point de vue, d’une part, au IVè millénaire avant notre ère, lorsque s’élaborait la proto-histoire de l’Etat pharaonique de T3 Km.t, la région du Delta du Nil était immergée ; ainsi que l’indique Hérodote[1] et que l’ont observé de plus récents travaux d’archéologie géologique[2].

D’autre part, les plus anciens états matériels et culturels de Kamê se situent en Ethiopie, donc bel et bien en Afrique Noire, loin de quelque « carrefour géographique »[3]. Mieux, le premier Etat pharaonique attesté dans la vallée du Nil est celui du T3 Sti, le « Pays de l’Arc », plusieurs siècles avant la formation de T3 Km.t ; lequel était on ne peut plus nubien[4]. D’ailleurs, ce seraient quelques nations de ce Pays de l’Arc, en rupture de ban, comme par sécessionnisme, qui auraient fondé les premières dynasties dites « Dynastie Zéro » ; celles des Shmsw hr du nord de la Nubie antique ; progressivement devenu le sud de l’Egypte ancienne – ou « Haute-Egypte ». Au demeurant, même l’invention de l’écriture hiéroglyphique date de cette époque, dite nagadéenne, et n’a rien à voir avec aucun « carrefour avec l’Orient »[5].


L’innovation théorique de « l’origine linguistique commune »

Le fait d’établir scientifiquement l’« Origine commune de l’égyptien ancien, du copte et des langues négro-africaines modernes[6] » revient à démontrer que les locuteurs de ces langues participent d’une même geste civilisationnelle, d’une même matrice culturelle de génération de leur façon d’être, de penser ou de faire le monde. Ce n’est certes pas nier à chaque groupe de locuteurs son propre génie, d’ailleurs manifesté dans cette prodigieuse diversité linguistique négro-africaine ; c’est plutôt reconnaître cet « air de famille », ce principe de parenté qui les tient ensemble comme différentes ramifications d’un grand arbre généalogique.

En effet, dit Alain Anselin, « la langue est la boîte noire de toute civilisation » ; c’est l’institution par excellence où sédimente ce que chaque civilisation possède de plus profond en elle-même, et qui la caractérise. Par conséquent, dire que l’égyptien ancien est une langue négro-africaine comme toutes les autres, c’est une autre voie épistémique – parmi les plus sûres – pour dire que les Kamêw étaient des « vrais Nègres de l’espèce de tous les naturels d’Afrique[7] ».

Cette voie ouvre la possibilité d’étudier de manière diachronique les phénomènes linguistiques négro-africains, de comprendre certains facteurs d’évolution entre wolof, bassa, bambara, haoussa, peul, etc. en prenant comme test l’un des plus anciens témoins de cette évolution : ce qui confère une intelligibilité sans précédent aux faits de langue en Afrique, avec une profondeur chronologique sans équivalent dans le monde.

Cette perspective est évidemment plus féconde que celle d’un africanisme anhistoriciste, qui étudie les faits de langue africains tels qu’il croit les voir, comme s’ils avaient toujours été tels quels : dans un « éternel recommencement ». Des tonnes de travaux lexicographiques se contentant de décrire indéfiniment chaque langue, sans les mettre en rapport les unes avec les autres, sans être capable de rendre raison d’aucune évolution de ces faits linguistiques, comme s’il s’agissait d’objets sans vie, voués par conséquent à dépérir : au profit du monolinguisme autoritaire des langues coloniales (arabe, anglais, français, portugais) érigées en langues officielles africaines, quasi exclusives des langues endogènes.

Bien entendu, la langue ne préjuge pas de la couleur de la peau de ses locuteurs ; c’est pourquoi Cheikh Anta Diop avait également réalisé des tests de mélanine (dans le laboratoire IFAN-Dakar) sur des échantillons de peau de momies égyptiennes, afin de montrer que ces momies étaient celles de mélanodermes, c’est-à-dire d’Ethiopiens, au sens étymologique. De plus récents travaux de biologie moléculaire confirment ces premières ébauches diopiennes[8].


La raillerie obsolète de « nos ancêtres les Pharaons »

La méconnaissance radicale des thèses afrocentriques expose évidemment leurs détracteurs empressés à des distorsions rédhibitoires. En effet, l’Egypte n’est pas à l’« origine » de tout, puisque comme l’indique expressément le titre de l’ouvrage d’Obenga, l’Egypte antique elle-même participe d’une « origine commune ». On peut également invoquer l’ouvrage de Babacar Sall qui étudie les « racines éthiopiennes de l’Egypte ancienne », toujours dans cette perspective fondamentalement généalogique. En d’autres termes, la civilisation égyptienne est une civilisation négro-africaine comme toutes les autres ; fussent-elles ultérieures (Kongo-dyna-Nza, Wagadu) ou antérieure (T3 Sti) : ni plus, ni moins.

Par conséquent, l’idée du retour vers l’Egypte consiste davantage en une stratégie épistémique. Celle-ci vise à connaître le mieux possible l’une des plus anciennes civilisations africaines dont on dispose d’abondants documents d’archives, afin d’implémenter les rares indices conservés sur les civilisations négro-africaines ultérieures, notamment celles qui ont été dévastées par les assauts criminels des négriers étrangers. Sachant que toutes ces civilisations procèdent d’une même « unité culturelle négro-africaine[9] », leur analyse scientifique comparée favorise une meilleure connaissance radicale les unes des autres, c’est-à-dire une plus grande intelligibilité des phénomènes civilisationnels négro-africains en général, en introduisant cette indispensable perspective diachronique, dont l’africanisme anhistoriciste l’avait amputée pendant plus d’un siècle.


Fin d’un « apartheid épistémologique »

La stratégie épistémique afrocentriste débouche ainsi sur une véritable révolution paradigmatique. Elle dépasse « l’apartheid épistémologique » institué par certaines idéologies d’apparence scientifique, avec leur maintien, entre autres, de cloisons académiques étanches entre l’étude de l’Egypte ancienne par l’égyptologie et celle du reste de l’Afrique Noire par l’africanisme[10]. C’est ce verrou idéologique que l’afrocentricité a fait sauter depuis des décennies, en particulier de manière tout à fait officielle et solennelle en 1974, au Colloque du Caire sur « Le peuplement de l’Egypte ancienne et le déchiffrement de l’écriture méroïtique[11] ».

Ce colloque international avait aussi pour but de faire le bilan des connaissances acquises à l’époque sur « l’origine des anciens Egyptiens ». Ses conclusions sur ce point précis sont sans équivoque : très largement favorables aux thèses afrocentriques qui avaient été défendues là-bas par Diop et Obenga. Une vingtaine d’années plus tard, en 1996, le Colloque de Barcelone rassemblait les meilleurs spécialistes mondiaux, en vue de faire un autre état de la question de l’origine des anciens Egyptiens. Cette fois-ci l’intitulé même de la manifestation ne laissait plus aucun doute sur son propos : « Africa Antigua. El antiguo Egipto, una civilizacion africana »[12].

Ainsi, depuis des décennies, la question ne se pose plus vraiment de savoir si l’Egypte ancienne est une civilisation négro-africaine, même si quelques idéologues  font encore de la résistance au moyen de vains calembours, condescendances et autres sarcasmes désuets. Désormais, les recherches les plus avant-gardistes, dans ce cadre épistémique, visent à tirer tous les enseignements heuristiques de cette évidence en quoi consiste la négro-africanité des civilisations égypto-nubiennes. Il s’agit d’analyser les innombrables corrélations socio-historiques qui existeraient entre celles-ci et les autres civilisations du continent noir, afin d’atteindre à une plus grande compréhension de l’ensemble complexe des phénomènes de civilisation documentés en Afrique, depuis les « Temps matriciels ».

En fait, bien que précurseur en la matière, le courant afrocentrique n’est plus seul à travailler dans ces nouvelles directions constitutives d’une véritable révolution historiographique encore trop méconnue dans les milieux francophones, où « l’africanisme de Papa » conserve malgré tout intacte son hégémonie institutionnelle, académique :

  • Josep Cervello Autuori, Monarchie pharaonique et royautés divines africaines – La monarchie pharaonique fut-elle une “royauté divine africaine” ?, in Cahiers Caribéens d’Egyptologie n°2, février/mars 2001 ;
  • Christopher Ehret,  S. O. Y. Kéita, and Paul Newman,  Ancient Egyptian as an African Language, Egypt as an African Culture, in Egypt in Africa, éd. T. Celenko, Indiana University Press, 1996.

Pour autant, les découvertes de plus en plus nombreuses attestant d’une « Egypte nègre » ne visent pas à se complaire dans une béate contemplation de quelque glorieux passé. Au contraire, elles commandent aux Africains de s’engager résolument dans une anamnèse collective, dans une véritable conscience historique de notre être-là, en vue de redevenir les principaux acteurs de notre propre devenir individuel et collectif : savoir profondément d’où nous venons pour mieux connaître réellement où nous pouvons aller.

Que le Nommo des Dogon soit rigoureusement le Nwmw des Kamêw, que Mbidi et Nkongolo soient les parfaits isomorphes luba des fameux jumeaux mythiques Seth et Osiris ; que les calendriers agricoles attestés partout en Afrique soient analogues au calendrier héliaque égyptien : voici des informations cruciales, qui ne peuvent être tenues pour complètement indifférentes. En tout cas, l’analyse scientifique de toutes ces similitudes anthropologiques concourt à une meilleure connaissance de soi en tant qu’Africain, comme une précieuse source vivifiante de son être-ici-et-maintenant.

Toutefois, on peut aussi renoncer à cette quête de soi, en ignorant ce que l’on perd, sans savoir davantage ce que l’on gagne, errant comme zombi, ou dérivant comme souche dans le fleuve qui ne deviendra jamais caïman :

Il n’est pas sans intérêt de rappeler les graves questions que, dans « L’aventure ambiguë », l’école nouvelle pose au peuple Diallobé. Celui-ci se demande : ce que nos enfants vont apprendre vaut-il ce qu’ils vont oublier ? Un demi-siècle après, on se rend compte que notre vraie tragédie se résume ainsi : les élites africaines, après avoir tout « oublié » n’apprennent finalement rien. Il y a un nom assez courant pour cette forme de monstruosité : la folie. Et, d’une certaine façon, notre démence, si ravageuse, consiste à s’imaginer que la modernité signifie la rupture totale d’avec son passé alors qu’elle doit être l’approfondissement des héritages les plus anciens, omniprésents et chaque fois différents.[13]

En définitive, certes il n’existe pas d’ « origine » absolue ; ni ici, ni ailleurs. Mais l’Egypte pharaonique étant l’une des plus vieilles civilisations négro-africaines documentées, devient par ce fait même la moins éloignée (ou la plus proche) des Temps Matriciels ; et donc l’« Origine », la grande « Ancêtre » des civilisations historiques négro-africaines – au moins par métonymie. Nonobstant, Kamê est également l’origine géographique stricto sensu de nombreuses pulsations migratoires transafricaines, au gré des soubresauts de sa propre histoire politique millénaire ; ainsi que tentent de l’établir plusieurs travaux de chercheurs africains[14].



Par KLAH Popo



[1] Hérodote, Livre II, Euterpe, XV

[2] Jacques Labeyrie, L’homme et le climat, éd. Denoël, 1985

[3] Babacar Sall, Racines éthiopiennes de l’Egypte ancienne, éd. Khepera / L’Harmattan, 1999

[4] Bruce Williams, A lost kingdom in Nubia at the Dawn of History, News and Notes, 1977

[5] Alain Anselin, La cruche et le Tilapia – Une lecture africaine de l’Egypte nagadéenne, éd. UNIRAG, 1995

[6] Théophile Obenga, Origine commune de l’égyptien ancien, du copte et des langues négro-africaines modernes, éd. L’Harmattan, 1993

[7] Constantin-François de Chasseboeuf, comte de Volney, Voyage en Egypte et en Syrie, 1787

[8] Jean-Philippe Gourdine, Contribution de la biologie moléculaire du gène à l’étude du passé de l’humanité. Cas de l’Afrique ancienne et moderne, in Cahiers Caribéens d’Egyptologie, n°9 février/mars 2006

[9] Cheikh Anta Diop, L’unité culturelle de l’Afrique noire, éd. Présence Africaine, 1960.

[10] Ankh, Revue d’égyptologie et des civilisations africaines, éd. Khepera. Cette revue, dirigée par le professeur Théophile Obenga, travaille justement  à réduire la dichotomie fallacieuse institutionnalisée entre « civilisations africaines» et « égyptologie ».

[11] Histoire générale de l’Afrique, Tome II, Annexe au chapitre I, Rapport de synthèse du colloque sur « le peuplement de l’Egypte ancienne et le déchiffrement de l’écriture méroïtique », éd. Présdence Africaine / EDICEF / UNESCO, 1987.

[12]AVLA AEGYPTIACA STUDIA, Africa Antigua. El antiguo Egipto, una civilizacion africana, éd. Josep Cervello Autuori, Barcelone, 2001

[13] Boubacar Boris Diop, La Charte du Mandé, outil d’éducation, in La Charte de Kurukan Fuga – Aux sources d’une pensée politique en Afrique, éd. L’Harmattan, 2008, pp92-93


[14] Aboubacry Moussa Lam, De l’origine égyptienne des Peuls, éd. Khepera/Présence Africaine, 1993 ; Germaine Dieterlen, Diarra Sylla, L’empire de Ghana – Le Wagadou et les traditions de Yéréré, éd. Karthala – ARSAN, 1992 ; Prince Dika Akwa nya Bonambela, Les descendants des pharaons à travers l’Afrique, éd. Osiris-Africa, 1985.

1 comment to « Egypte Nègre » : une controverse obsolète

  • Luka Lusala lu ne Nkuka

    Kamê est également l’origine géographique stricto sensu de nombreuses pulsations migratoires transafricaines“, dit l’article. J’y souscris totalement. Et dans leurs déplacements, les Kamites ont porté le nom Km(t) un peu partout en Afrique. Mes propres études m’en ont convaincu. Au Kenya, j’ai rencontré un vieux Kikuyu, Mussa de son nom, qui m’as appris, en désignant le nord-est et cela sans hésitation, que les Kikuyu viennent de Kana. Qui ne peut y voir Km(t) (k-n / k-m)? Ce vieux n’a pas suivi des cours d’égyptologie, il n’a pas lu Cheikh Anta Diop ou théophile Obenga, pour l’accuser de contamination afrocentrique récente! Il ne connaissait même pas l’anglais. Notre entretien s’était déroulé en kikuyu. Un interprète traduisait pour moi en anglais. Mais j’avais entendu distinctement le mot Kana. J’ai par exemple identifié le même mot Km(t) dans Kongo (Congo), Uganda et Ghana. La capitale de l’ancien empire du Ghana est Koumbi Saleh. Je viens de dire que Ghana vient de Km(t). Aboubacry Moussa Lam (Les chemins du Nil. Les relations entre l’Egypte ancienne et l’Afrique Noire, p. 66) a expliqué Koumbi comme un mot dérivant également de Km(t). Mais il n’a su identifié l’origine de Saleh. Pour ma part, je pense qu’il viendrait de l’égyptien srx que Raymond Faulkner (A Concise Dictionnary of Middle Egyptian, p. 236) définit comme “palace-façade design bearing Horus-name of King ” (dessin de la façade d’un palais portant le nom royal d’Horus). Pour sa part, Alan Gardiner (Egyptian Grammar, p. 72) dit du “Horus name” (nom d’Horus) qu’il “represents the king as the earthly embodiment of the old falcon-god Horus, who early became the dynastic god of Egypt” (représente le roi comme incarnation terrestre du vieux dieu-faucon Horus, qui, assez tôt, devint le dieu dynastique d’Egypte). Koumbi Saleh signifie donc le lieu de Km(t) où se trouve le successeur d’Horus, c’est la capitale! Avec Obenga je crois que les langues bantoues et les langues ouest atlantiques sont étroitement apparentées à l’égyptien. Contrairement à lui et et d’accord avec Lam qui critique aussi Obenga (De l’origine égyptienne des Peuls, p. 189), je pense que ces langues dérivent directement de l’égyptien et peut-être même avant la formation du copte en Egypte et non d’une hypothétique langue à situer au Sahara. Ces langues dont je parle sont par rapport à l’égyptien sur le même plan que le copte. Le ur-bantu est une belle hypothèse pour faire de la gymnastique intellectuelle. Comme si l’on faisait de la gymnastique en reconstruisant un ur-latin en partant des langues latines! Comme les langues latines dérivent du latin, les langues bantoues et ouest atlantiques dérivent de l’égyptien. Ce sont proprement des langues néo-kamites, néo-égyptiennes ou néo-pharaoniques.

Leave a Reply

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.